Les rois du storytelling, les frères Coen, avec le roi du grand divertissement, Spielberg. Le Pont Des Espions a tous les éléments pour s'imposer comme un grand film. Spoiler alert : c'est le cas.


10 ans. Cela faisait dix ans que Steven Spielberg et Tom Hanks, deux monstres sacrés du cinéma américain contemporain, deux rois du divertissement et du cinéma grand public comme il est voulu, aimé et défini par Hollywood, ne s'étaient pas croisés. C'était pour Le Terminal, en 2004. Auparavant, il y avait déjà eu Il faut sauver le soldat Ryan et Arrête moi si tu peux.


A l'écriture du scénario mais non derrière la caméra, sûrement trop occupés à leur prochain Hail, Caesar!, les frères Coen signent un scénario ancré dans l'histoire. Pour Spielberg, le saut dans le temps est moins grand que pour son dernier film, le biopic Lincoln. Il est quand même conséquent. Basé en partie sur une histoire vraie, en plein cœur de la guerre froide, un avocat sans affiliation politique se voit forcé de défendre un espion anglo-russe, au sein d'une Amérique qui ne souhaite que son exécution. Loin d'être un film-tribunal, Le Pont Des Espions se sort de sa base juridique pour fournir un conte humain, entre toutes les affaires politiques nationales et internationales.


Seul au monde


Alors qu'on l'attendait sur des projets plus secrets, plus casse-gueule, Steven Spielberg a choisi le scénario plus sage des frères Coen pour se refaire une santé. Rudolf Abel (Mark Rylance) est un espion discret mais efficace, à l'identité floue. Est-il anglais ? Est-il russe ? Toujours est-il que, même s'il ne pipe mot aux autorités, les USA veulent en faire un exemple, d'efficacité comme de justice. Alors, ils engagent James Donovan (Tom Hanks), un avocat d'assurances au bagout certain pour le défendre, aussi droit dans son métier que la taupe honnie par le peuple qu'il représente. Le contexte scénaristique est parfait. Celui du héros, plus personnel, l'est tout autant pour le réalisateur de La Liste de Schindler.


Filmer l'homme juste et droit voguant contre la pression morale de la société, il y connaît. Le risque ? Que cette recherche de la justice absolue pourrait constituer un laïus moral et/ou un jugement assommant. C'est sans compter sur le travail d'écriture des frères Coen. Eux n'ont pas leur pareille pour fouiller leurs personnages, leur donner des traits de caractère cohérents et faire ressortir cette pointe d'humour de leurs situations. C'est exactement ce qu'il faut à ce Pont des Espions pour devenir attachant, et donc susciter chez le spectateur le désir de s'impliquer dans une histoire humaine, quand bien même le monde la perçoit comme politique. Alors, même si l'audience semble perdue d'avance, c'est le combat qui prime plutôt que le résultat.


Échange moi si tu peux


Bientôt, guerre froide oblige, le conflit s'étale bien plus loin que dans le petit isoloir du jury. Le dernier acte est donc délocalisé des États-Unis à Berlin, au gré d'un scénario parallèle discret mais bien ficelé. Un pilote américain s'est crashé en territoire soviétique. Alors que les deux camps s'interrogent sur la quantité d'informations délivrée par chaque capturé, l'avocat Donovan doit organiser un échange avec les difficiles bureaucrates de l'autre côté d'un mur à peine construit, aux structures morales et physiques déjà croulantes.


C'est dans l'urgence et dans la mort toute proche que Le Pont des Espions délivre toute la puissance de sa narration. Au gré des rencontres, des échanges et des tractations, Spielberg prend peu à peu entièrement la main sur son film et fait ce qu'il sait faire de mieux : filmer la droiture humaine et la survie de l'innocence, un plan américain à la fois. Certes, le parti pris vers l'aigle et le drapeau aux 50 étoiles est parfois un peu trop obvious, mais est difficilement contournable dans un tel contexte historique. Les grandes émotions sont là, sans être pour autant tire-larmes. Le Pont des Espions donne toutes ses lettres de noblesse au grand spectacle de cinéma à l'américaine, avec tous les avantages et les inconvénients qui en incombent. Rendez-vous le 2 décembre pour en profiter dans les salles obscures.

Robin_Souriau
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le 15 oct. 2015

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Robin Souriau

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