"Vous n'avez pas l'air inquiet" - "Ça aiderait ?"

Subtil et intelligent, le nouveau film de Steven Spielberg écrit par les frères Coen est une lueur inespérée dans le contexte particulier de sa sortie en France. En ces jours sombres, le film nous plonge dans le terrible guerre froide qui opposa les deux grands blocs à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Et c'est une véritable réussite.


Le Pont des Espions, part sur une scène d'exposition qui nous met directement dans l'ambiance : l'arrestation d'un vieillard soupçonné d'être un espion soviétique. C’est de cette histoire vraie que part Steven Spielberg pour son nouveau Pont des espions, thriller magnifique dont l’écho des paroles et actes de bravoure de ses protagonistes résonne encore plus fort ces derniers temps. S’imprégnant dans la tradition des grands réalisateurs de l’Hollywood classique, notamment John Ford avec Cheval de guerre et Lincoln, Spielberg reconstruit une période récente de l’Histoire où l’opinion de chacun était dictée par le pays dans lequel il se trouvait. Ce James B. Donovan, dont la biographie a inspiré le film, se voit donc attribuer la défense de Rudolf Abel, qui assume sans triomphalisme son statut d’espion soviétique en mission en Amérique. Les preuves sont absentes, mais le verdict est déjà entendu avant le début du procès. Face aux rouges, il faut montrer qui est le plus fort. Et il y a là un point très fort du film.


Même si on a quand même tendance à sentir le patriotisme de Spierlberg, son personnage est complètement différent. Car si Donovan croit profondément dans les États-Unis, il n’est pas prêt à en bafouer les valeurs inscrites dans sa Constitution. Si Rudlof Abel est coupable, c’est à la Justice de le prouver et non aux médias et à la foule enragée qui le condamnent à mort pour son allégeance. Spielberg joue ici la carte de la paranoïa qu'il devait y avoir à l'époque et elle est très justement bien retranscrite dans le film. Les deux pays étaient en colère, il n'y avait pas de méchants et de gentils. Et Spielberg, ou plutôt les frères Coen, réussissent à éviter le piège. Ainsi, le film ne nous donne pas une impression de propagande mais bel et bien de reflet de faits réels. Le Pont des Espions manie tout aussi bien dans sa mise en scène ses différentes parties, à savoir le film de procès, et le thriller espionnage qui n'apporte que davantage de tension. Là où le film frappe juste aussi, c'est dans son incident soudain qui apparaît en plein film, celui d'un pauvre jeune au mauvais endroit au mauvais moment qui se fait arrêter par les soldats de la RDA. Donovan décidera donc de le prendre sous sa responsabilité. Cela apporte donc quelque chose en plus. Il ne s'agit d'un échange entre un homme et un autre mais deux contre un.


Ainsi, sublimé par la photographie de Janusz Kaminski, le nouveau long-métrage de Steven Spielberg nous ramène à ce qu’il reste d’humanité en nous afin de lutter contre l’indifférence à ces atrocités légitimées par ces idéologies radicales et bellicistes. La liberté ne tient qu’aux valeurs et convictions dans lesquelles chacun croit et qu’il nous faut défendre à tout prix. Si nous répondons par la peur et la haine de l’autre, à l’instar de l’Amérique de James B. Donovan à peine sortie des années anxiogènes du maccarthysme, ceux qui veulent nous nuire auront ce qu’ils cherchent à obtenir. Le très intelligent final du Pont des espions ne fait d’ailleurs pas l’erreur de finir sous la bannière étoilée. Porté par un Tom Hanks remarquable et un Mark Rylance touchant et surprenant, Le Pont des Espions est un (nouveau) très grand film de Steven Spielberg sur l’humanisme et l’altruisme. Une oeuvre optimiste, sobre et élégante, qui fait du bien en ces temps de tristesse.

Guimzee
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le 6 déc. 2015

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