Inutile de présenter Steven Spielberg l'un des plus grands faiseurs de cinéma de notre génération, brillant touche à tout, qui délaisse depuis quelques années ses/nos jouets de science-fiction pour revisiter notre Histoire.
Inutile de présenter Tom Hanks l'un des plus grands acteurs de cette même génération, au mieux de son génie lorsqu'on lui demande d'incarner un américain moyen mieux que l'américain moyen lui-même.
La collaboration des deux ne date pas d'hier et Le pont des espions est une nouvelle preuve de leur(s) talent(s).
Et une fois de plus devant un Tom Hanks, empâté et vieillissant, on se dit que ce rôle n'attendait que lui.
Un rôle d'avocat ('LE' métier du rêve américain ?) habile et retors, qui manie la langue et ses interlocuteurs comme seul un avocat habile et retors sait le faire. Une petite scène d'exposition nous le fait comprendre en peu de mots quand Tom Hanks, avocat d'assurances, explique à son adversaire que demander trop d'indemnités à la compagnie qu'il représente finirait par nuire à l'humanité toute entière si les assurances ne pouvaient plus assurer leur métier d'assureurs ! Le gars qui arriverait à vous convaincre de vendre vos gosses en vous persuadant de faire une bonne action, et à bas prix encore.
Mais en 1957, l'avocat d'assurances Tom Hanks/James B. Donovan va accepter une affaire dont personne ne veut : la défense de Rudolf Abel, un espion russe pris en flagrant délit ou presque (très belles scènes d'ouvertures).
La Constitution des États-Unis et Tom Hanks sont tous deux persuadés que chaque homme a droit à un procès équitable, même un espion pris la main dans le sac en pleine Guerre Froide. James B. Donovan va donc devenir l'homme le plus haï d'Amérique. Juste après son client.
Bien sûr, en dépit des efforts de Donovan, le procès sera perdu : le verdict était écrit d'avance, par les autorités, la presse et même le juge (Oh, come on counsellor ...), et l'avocat réussira seulement à sauver son client de la chaise électrique ... grâce à ses réflexes d'assureur - on vous laisse découvrir l'argumentaire !
Mais le film n'en est encore qu'à sa moitié : Spielberg continue de dérouler l'histoire vraie (pardon l'Histoire vraie) de James B. Donovan qui sera bientôt appelé par les soviétiques et les allemands de l'est pour négocier un échange entre Rudolf Abel et un pilote américain capturé de l'autre côté du Rideau de fer.
Nous suivons donc Tom Hanks à Berlin et on jubile de le voir négocier à nouveau, tout seul contre les russes et la RDA (sans même ses compatriotes américains qui déclinent toute responsabilité et ne veulent pas apparaitre officiellement).
Dans la vraie vie, James B. Donovan semble même s'être pris à ce jeu diplomatique puisqu'il deviendra peu à peu une sorte de négociateur officieux : quelques années plus tard, on le verra même obtenir de Castro la libération de plus de mille prisonniers américains après le désastre de la Baie des Cochons !
Mais revenons au film.
Si le premier volet est sans défaut, on peut être exaspéré de voir une seconde partie empesée de séquences un peu lourdingues et explicatives (et d'une musique à émotions) : l'avion espion, les décors de carton-pâte à Berlin-Est, les scènes édifiantes le long du Mur, ... jusqu'à ce qu'on remarque la moyenne d'âge de la salle à qui il faut bien expliquer ce qu'était la Guerre Froide. Ah bon, tout le monde n'a pas grandi avec ? Ok, alors.
Mais c'est aussi cette seconde moitié du film qui nous vaut les scènes les plus savoureuses puisque l'on y découvre ces fameuses négociations : épique ! Tom Hanks/James B. Donovan est vraiment redoutable lorsqu'il entame sa partie de billard à trois bandes !
Le film est bourré d'humour et pour une fois, ce ne sont pas les États-Unis qui sauvent le Monde : bien au contraire, les compatriotes de James B. Donovan (juges, CIA, famille, armée, ...) sont soigneusement épinglés pour leur manque d'humanité et leurs manquements à leur propre Constitution que saluent les petits élèves chaque matin devant le drapeau de leur école.
Ce ne sont pas les États-Unis qui sauvent le Monde, mais un homme seul, droit dans ses bottes, un standing man (le sous-tire de la VO).
Et puis il y a cette amitié qui naitra entre le petit espion silencieux et son bavard. Elle nous vaudra les plus belles répliques du film comme ce running joke, Would it help ? que prononce Rudolf Abel chaque fois que Donovan lui fait remarquer qu'il n'a pas vraiment l'air inquiet de son sort.
Ou encore ce I can wait, prononcé (par Rudolf toujours) sur le fameux pont dans des circonstances finales qu'on ne peut pas dévoiler. Tout le film est truffé de dialogues savoureux, taillés au cordeau (avec l'aide des frères Cohen crédités au générique) et face au géant Tom Hanks, Mark Rylance n'a pas à rougir et réussit à camper un petit espion calme et silencieux dont on se souviendra longtemps.
La salle comble ne s'y trompe pas qui applaudit généreusement le générique de fin.
Pour celles et ceux qui aiment les avocats.

BMR
8
Écrit par

Créée

le 5 déc. 2015

Critique lue 444 fois

1 j'aime

BMR

Écrit par

Critique lue 444 fois

1

D'autres avis sur Le Pont des espions

Le Pont des espions
guyness
6

L'Allemagne déleste

Il y a en fait deux films dans ce Pont des Espions, et le plus réussi des deux n'est pas celui auquel on pourrait penser. La première partie est, de fait, bien mieux qu'une simple mise en place...

le 9 févr. 2016

58 j'aime

24

Le Pont des espions
Docteur_Jivago
7

Bons baisers de Berlin

C'est toujours un petit évènement la sortie d'un film de Steven Spielberg, malgré un enchaînement de déceptions depuis une petite dizaine d'années (La Guerre des Mondes est à mes yeux son dernier...

le 31 déc. 2015

55 j'aime

20

Le Pont des espions
blig
9

L'espion qui venait du Droit

Un nouveau film de Steven Spielberg est toujours un évènement en soi. Quand en plus il met en scène Tom Hanks au cœur de l’échiquier de la Guerre Froide sur un scénario des frères Coen, c'est Noël...

Par

le 4 déc. 2015

53 j'aime

12

Du même critique

A War
BMR
8

Quelque chose de pourri dans notre royaume du Danemark.

Encore un film de guerre en Afghanistan ? Bof ... Oui, mais c'est un film danois. Ah ? Oui, un film de Tobias Lindholm. Attends, ça me dit quelque chose ... Ah purée, c'est celui de Hijacking ...

Par

le 5 juin 2016

10 j'aime

2

The Two Faces of January
BMR
4

La femme ou la valise ?

Premier film de Hossein Amini, le scénariste de Drive, The two faces of January, est un polar un peu mollasson qui veut reproduire le charme, le ton, les ambiances, les couleurs, des films noirs...

Par

le 23 juin 2014

10 j'aime

Les bottes suédoises
BMR
6

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015. C'est par fidélité au suédois et...

Par

le 10 oct. 2016

9 j'aime

1