SPOILERS (je ne raconte pas le film mais c'est à lire après l'avoir déjà vu une première fois).
"Chaque tour de magie comporte trois parties, ou actes. Le premier s'appelle la promesse : le magicien vous présente quelque chose d'ordinaire. Le deuxième acte s'appelle le tour : le magicien utilise cette chose ordinaire pour lui faire accomplir quelque chose d'extraordinaire. Mais vous ne pouvez vous résoudre à applaudir, parce que faire disparaître quelque chose est insuffisant, encore vous faut-il le faire revenir. Alors vous cherchez le secret mais vous ne le trouvez pas parce que, bien entendu, vous ne regardez pas attentivement. Vous n'avez pas vraiment envie de savoir… Vous avez envie d'être dupé."
La promesse du magicien Nolan fut la présentation d'une compétition de deux prestidigitateurs, le tour fut la mise en scène utilisée. Commençant par déconstruire systématiquement toutes les ficelles utilisées par eux, il place le cinéphile devant un monde fermé, guidé par les éléments physiques.
Mais le cinéphile a envie d'être dupé. Il veut au fond croire à la magie que le film présente et qui l'obsède dans ses limites.
Nolan crée tellement d'obsession chez le cinéphile avec ces frontières physiques et scientifiques limitantes que ce dernier est tout à fait prêt à croire que l'électricité, un élément neuf et inconnu dans l'équation, peut véritablement dupliquer quelqu'un.
Le prestige du film est tout entier là : il nous montre de bout en bout les mécanismes de la tromperie et arrive malgré tout à faire réapparaître la tromperie et à duper la plupart des cinéphiles.
Il y a dans Le Prestige quelque chose de l'ordre de l'expérience de Milgram qui a mis en lumière le processus psychologique de soumission à l'autorité. L'homme a tendance à croire à la sincérité de la parole par nature d'autant plus si elle se pare des attributs de l'honorabilité. Tout le monde préfère être dupé. La qualité de scientifique étranger qu'est Tesla suffit à nous faire croire à son honorabilité. Mais comment mieux duper un magicien qu'en lui faisant voir une magie qu'il n'a jamais vue ?
Comment mieux duper un cinéphile qu'en faisant croire que personne ne pourrait duper le magicien qui n'est autre que le maître de la duperie ?
C'est dans un sens un film plus intéressant qu'il n'y paraît sur les thèmes du mensonge, de l'obsession, des mécaniques psychologiques sociales qui nous meuvent et des possibilités manipulatoires que tous engendrent sur l'esprit humain.
Quelques remarques pour ceux qui voudraient y réfléchir :
- Demandez-vous ce qu'est devenu Root. Nolan s'y est très bien pris pour vous le faire oublier. Peut-être l'avez-vous oublié très vite parce qu'il vous semblait saoul et insupportable, bref pas aussi Angiers que Angiers. Mais qui se soucie de l'homme dans la boîte ?
- Demandez-vous quelle est la part de mensonge et de vérité dans la narration (qui passe à l'écran) des deux journaux de Borden et Angiers (écrits à dessein pour se tromper l'un l'autre). Et quelles sont les scènes qui mettent en images cette narration. Au hasard, Angiers tire vraiment sur son double ou veut-il le faire croire à Borden ? Se duplique-t-il vraiment ou veut-il le faire croire à Borden ? Borden tire vraiment parti d'Olivia pour rencontrer Root ou veut-il le faire croire à Angiers ? Est-ce si compliqué de rassembler 10 chapeaux et deux chats noirs dans la nature ? Qui brûle l'endroit où vit Tesla et pourquoi ? Est-ce si difficile de créer une mise en scène tous les soirs pour faire sortir loin des regards le "résultat" de la représentation ? Etc.
Si vous prenez la peine de remettre en question chaque explication que vous fournit le film, vous le verrez différemment. Et vous comprendrez que le sujet principal du film est votre relation à vous cinéphile aux explications qu'il vous fournit. car le film tend à vous présenter les choses pour vous duper.