Une simplicité désarmante, et pourtant bouleversante, alliée à l'élégance du minimalisme.


Le film de Tian Zhuangzhuang réalisé en 2002, remake de celui-ci, ne m'avait pas du tout préparé à recevoir une telle délicatesse, une telle pudeur des sentiments pourtant très forts. Ou, au contraire, peut-être a-t-il favorisé l'effet de surprise en échouant à retranscrire l'histoire sans verser dans la platitude et l'ennui poli : les conditions de visionnage et leurs effets sur l'appréciation d'une œuvre à un instant T, une thématique éternelle.


Le décor d'après-guerre s'impose de lui-même dès les premières minutes : une petite ville, certes, mais surtout une ville dont on ne perçoit que les décombres, des champs de ruines comme autant de stigmates laissés par la seconde guerre sino-japonaise, après le retrait de l'armée japonaise en 1946. Le film de Fei Mu est réalisé seulement deux années plus tard et porte en lui la force des œuvres qui ont su saisir les mouvements encore incandescents de l'histoire. Au milieu de ces quelques murs en partie écroulés faisant office de maison, Yuwen vivote tant bien que mal avec son mari Liyan, sa petite sœur et leur serviteur. La fragilité de Liyan, en mauvaise santé, au bord de la dépression, contraste avec le caractère pétillant de sa petite sœur. De cette situation précaire mais relativement stable, le film évolue vers une nouvelle dynamique avec l'arrivée du médecin et ancien ami Zhishen. Un étonnant carré amoureux s'installe, étonnant par la complexité qui s'en échappe par petites touches très simples prises indépendamment des autres.


Chaque duo de personnages possède ses forces d'attraction et de répulsion propres et il faudrait analyser l'ensemble de ces 6 combinaisons (2 parmi 4) pour peut-être en dégager l'étendue des ramifications. Une femme partagée entre passion et loyauté, entre un amour qui renaît et son esprit marqué par la fidélité. Un mari aimant mais qui n'a que très peu d'estime pour lui-même. Une jeune fille dont les sens bourgeonnent et s'éveillent comme une fleur au printemps. Et un homme déchiré entre un amour qu'il ne saurait renier et un même sentiment de loyauté envers un ami.


Quatre acteurs principaux et deux unités de lieu (la maison et un chemin de promenade, grosso modo) suffisent à rendre tangible l'incroyable emmêlement des liens qui les unissent. La qualité douteuse de la vidéo, avec une image abîmée et un son approximatif, renforce quelque part la dimension spectrale et mélancolique de ce petit théâtre. Les contraintes sont multiples et alimentent un enchevêtrement des rapports qui n'entame en rien la simplicité et la fluidité du récit. La tragédie se niche un peu partout : la tuberculose du mari l'empêche de partager le lit de son épouse, le dévouement de la femme l'empêche de voler de ses propres ailes. Tous condamnés à réfréner leurs sentiments, emmurés dans des jeux de regard, des promenades salvatrices et des silences terriblement significatifs.

Morrinson
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le 30 juin 2017

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Morrinson

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