Doux regrets

Considéré comme le meilleur film chinois de tous les temps par les Hong Kong Film Awards, l'oeuvre de Fei Mu est en effet de grande qualité. Sorti un an avant l'arrivée destructrice de Mao Zedong mais seulement quelques années après la fin de la guerre, le film est empreint d'une atmosphère pleine de tristesse du fait des conséquences de cette dernière. Le cast réduit (cinq acteurs) évolue principalement dans la maison et le jardin aux murs en ruine, tandis que le mari souffre encore des séquelles de la guerre. C'est donc un film coincé entre deux périodes noires qui nous est donné de voir, comme si 1949 et toutes les erreurs du leader communiste étaient déjà pressenties.

La femme, personnage principal (le cinéma asiatique prouve encore son respect pour le genre féminin), ne fait plus que vivoter à cause d'un train de vie devenu routinier où elle ne fait guère que servir son mari. Comme dans Le Repas de Mikio Naruse, c'est une remise en cause presque totale de cette vie que la femme est en train de faire, cette dernière n'y trouvant plus aucun sens. C'est par le processus de voix off utilisé ici à très bon escient que nous pouvons comprendre toute la tristesse ressentie par le personnage de Wei Wei, actrice dont la mélancolie criante se voit partout : dans son regard, dans ses mouvements, dans sa voix donc...

L'arrivée de son premier amour dans le cercle fermé de cette famille est donc l'occasion de voir comment cette opportunité de liberté sera utilisée par Yuwen. La mise en scène virtuose du réalisateur chinois - qui trouve des cadres incroyables - capture d'une facilité déconcertante les émotions des personnages, notamment via des jump cuts où les deux anciens amants apparaissent collés l'un à l'autre, mais dans des positions différentes, comme s'ils voulaient se rapprocher mais n'arrivaient pas à savoir comment. Une scène magnifique est un plan fixe assez long où l'on voit ces deux personnages de dos marchant sous une allée couverte dans la forêt, tantôt bras-dessus bras-dessous, tantôt séparés de quelques mètres... C'est donc cet amour impossible car trop basé sur de simples souvenirs et dénué de toute rationalité qui est dépeint dans ce chef d'oeuvre, où l'on ne cesse de se demander si la femme choisira de rester s'occuper de son mari ou partir avec son ancien amant...

La vieillesse de la version disponible sur Youtube souffre d'une bande-son de qualité assez mauvaise, mais cela rend le film d'autant plus appréciable, participant à l'aspect "souvenir" de l'oeuvre. Le classement du film de Fei Mu tout en haut des Hong Kong Film Awards est donc tout à fait compréhensible, la réflexion précoce sur le rôle de la femme que l'on retrouve aussi chez les Japonais démontrant encore une fois que, déjà, à cette époque, le cinéma asiatique était excellent.