Rares sont les cinéastes sans baisse de forme : on n'enchaîne pas cinquante métrages sans y laisser un peu d'ardeur ni se lasser de l'ampleur quotidienne de l'ouvrage. Alfred Hitchcock a beau présenter une des plus belles filmographies de l'Histoire du Cinématographe, son œuvre n'est pas exempte d'outrages sous la patine du suspense et de coups de mou dans l'auscultation des relations humaines. Ainsi The Paradine Case déçoit. Autant autour du scénario qui n'offre rien de transcendant que de la forme, 


fade classique épuré des innovations mouvementées du maître.



Un jeune avocat ambitieux et passionné se voit confier la défense d'une jeune veuve soupçonnée de l'empoisonnement de son aveugle de vieux mari. Rapidement la belle le subjugue. Au point qu'il s'en fasse une image de porcelaine fragile à protéger coûte que coûte des affres du doute. Pourtant c'est bien sa propre ardeur à la défendre qui va l'amener à comprendre la froide réalité des faits et à 


se confronter à la désillusion.



Si je ne suis pas un fervent spectateur des films de procès, l'estampille du cinéaste me pousse à m'y aventurer. Après cette décevante expérience, je lis çà et là combien le producteur David O. Selznick a su profiter de la lassitude d'Alfred Hitchcock pour intervenir au montage final d'un film que le réalisateur n'a accepté de tourner que pour clore leur collaboration. Cela se ressent. Séquences plates rehaussées maladroitement d'un ou deux plans épars qui font la renommée du technicien, amourette platonique exacerbée pour justifier les errances professionnelles de l'avocat, narration chronologique linéaire, il n'y a guère que le doute lointain quant à l'orientation charnelle du valet de chambre / amant qui tienne un temps l'attention du spectateur habitué à se projeter : le film étale les questionnements à l'immédiat et ne prend jamais l'envergure psychologique que nous attendons. Un plan de l'avocat grimpant les escaliers de son domicile entre les rais d'ombres portées de la rampe, un large panoramique autour de l'accusée impassible que cherche du regard l'amant trahi, un clin d'œil à Rebecca en la grande chambre vide d'un manoir,


les effervescences de la narration purement cinématographique s'égrainent en pâle peau de chagrin



sous la patine d'une lumière attendue, pour ne pas dire convenue.
Les comédiens y récupèrent la part belle : la caméra n'a d'yeux que pour Gregory Peck, suffisamment épris de l'opportunité pour y imposer une performance convaincante que



la mise en scène ne sublime pas.



Le regard d'Alida Valli suffit, heureusement, à capter l'attention à chaque gros plan, tout comme la présence affable de Charles Laughton ; quant au frenchy Louis Jourdan, il compose à la perfection le mutisme enragé de l'antagoniste idéal mais souffre, lui aussi (après ses trois ou quatre premier plans, rares d'intelligence, visage masqué dans l'ombre), d'un profond manque d'intérêt de la mise en scène.


S'il vous faut, comme moi, avaler à l'indigestion l'œuvre magistrale des cinéastes que vous vénérez, ne manquez pas The Paradine Case : 


il faut voir de tout pour se forger et prendre exemples et inspirations du meilleur comme du pire,



au moins pour éviter de répéter les erreurs déjà faites par d'autres. Si vous n'êtes là que pour apprécier le caviar du génie, passez votre chemin, la filmographie d'Alfred Hitchcock est largement assez fournie pour vous éviter le détour douteux de cette pâle patine mise en boîte en attendant la suite.

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le 4 sept. 2018

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