L'Ephémère leçon d'espoir de la nurse pimbêche et du falotier débonnaire

Londres.
La nuit est sombre. Déjà le jour se lève, ou bien sont-ce les brumes ?
Le brouillard nous encercle, à perdre notre chemin.
Youplà, les enfants, suivons ce brave Jack et son vélo le long des réverbères ! D'après lui, un jour de chance se lève.



Mary à tout prix



C'est un nouveau cyclone qui arpente la rue des Cerisiers.
Michael et Jane ont grandi et leur monde insouciant imaginé par les sixties aussi. La Finance, plus présente, et ses suppôts les huissiers, frappent à la porte pour réclamer leur maison d'enfance.
Et youplà ! Mary Poppins, que nul n'appelé à la rescousse - sinon la firme aux grandes oreilles - revient !
Rien ne justifie son retour, d'autant plus incompréhensible que Michael, en banqueroute, ne peut lui payer ses appointements comme jadis son père. On se contente de pêcher à la nurse avec un cerf-volant dans les vagues du ciel. Mesdames les féministes, exceptionnellement, vous avez le droit de hurler, même si c'est poétique.
Cette fois, c'est la belle Emily Blunt qui campe l'éternelle nurse. En soi, elle n'est pas mauvaise. Elle tente de ressembler à Julie Andrews, qu'un peu de Rogue one effect aurait pu ramener près de nous, mais n'y parvient pas tout à fait. Ses "youplà !" sont attendus et éclatent toujours hors saison, comme si, soudainement, elle se rappelait un cahier des charges, ses chants ont par instants un peu de Bonnie Tyler ou de Patricia Kaas. Quand l'un des enfants lui demande combien elle pèse, elle se contente de prendre un air effarouchée là où Julie Andrews, faussement boudeuse, aurait d'abord répliqué: "Voyons, on ne demande pas cela à une femme !", se serait tournée, de se retournée toute souriante en déclarant malicieusement: "Mais si cela vous intéresse vraiment, je pèse le poids d'une plume d'oiseau". Là où la Mary Poppins des sixties affectait un air de nurse anglaise pour cacher son grand coeur, la Mary Poppins des tenties est réellement altière, son flegme ressemblant plus à de la superficialité qu'à un jeu d'éducatrice. Il est bien difficile d'accorder le même capital sympathie à chacune des deux Mary Poppins. Mais qu'importe ? La nouvelle n'a pas même à séduire des enfants déjà baba à son abord.


Et le film est à l'image de sa Mary: une imitation qui manque de l'authenticité et de l'âme insouciante du premier opus. Il est grandiloquent et fier de ses écarts esthétiques: le rêve est un cauchemar, le ramoneur est falotier, les égouts remplacent les toits, le vieux banquier est un brave grand-père, le capitalisme protège des cabales de la Finance, on ne vole plus au plafond qui se trouve au sol.Jusque dans les chorégraphies qui oublient de nous faire oublier ce qu'elles sont: n'est pas Van Dyke, grand maître du genre, qui veut.
Il y a un soucis de faire du Mary Poppins qui empêche de faire un Mary Poppins. Rien d'étonnant venant de Rob Marshall, l'empailleur de mythe, le pasticheur tantôt génial tantôt médiocre, à qui on doit entre autres, La Fontaine de Jouvence (Pirates des Caraïbes) et des adaptations de comédies musicales telles que Chicago, Nine ou Into the woods . Imitateur dans l'âme, l'ami Robie cumule les fantaisies, réalisateur de films musicaux, il aligne les chansons pastiches. Les fantaisies comblent le manque d'idées de narration et les chansons, moins bien ancrées dans la fiction que celles d'un La La Land, font pâles figures face aux anciennes. La meilleure, celle du final, doit d'ailleurs son élan "Et, hop !" à celui de la chanson finale du film de 1964...



Ah, quelle jolie promenade avec Mary !



Le soucis vient aussi de cette remise du mythe dans un nouveau contexte.
Le premier opus parlait de l'insouciance des années 60, le nouvel opus parle de la tristesse du temps présent. Toujours sous couvert d'un temps ancien.
Le Retour de Mary Poppins souffre d'un effet Twice upon a time: l'univers des sixties est repensé pour des spectateurs d'aujourd'hui et troque son "chemin de randonnée", dont le but était de donner une leçon d'existence, contre une histoire de confrontation sociale et d'arnaques bancaires.
Mary Poppins partait du postulat de la vie aisée pour arriver à la vie bonne et consciente de l'être, de la vie satisfaite à la vie heureuse. D'emblée, Le Retour de Mary Poppins nous parle de crise, de brouillard, de perte, de chagrin et d'un infime espoir lumino magique ! Le nouveau film parle de reconstruction difficile et de combat pour conserver ses biens et ses valeurs.
On ne peut pas dire que Mary fasse se lever le soleil: elle ne fait que promettre un hors du brouillard ... Que ne donnerais-je pas pour vivre dan les années 60 !



Bye, Bye, déjà ! Revenir, c'est un problème !



Le Retour de Marry Poppins n'est donc plus un film optimiste, une leçon de vie qui fait passer du bleu terne au bleu azuré mais un film en quête d'optimisme, une leçon d'espoir qui, dans le noir, le gris, le bleuâtre, recherche le bleu des jours heureux.
Pour exister en tant que tel, il lui faut un ingrédient absent du premier opus: un méchant, un antagoniste sadique, hypocrite et cruel. Un méchant si puissant que, assimilé à un grand méchant loup, il rendra visite au monde des rêves. Et in Arcadia ego ...
Il ne s'agit de la gentille et hilarante caricature du capitalisme incarnée par Dick Van Dyke, il s'agit d'un Colin Firth,alias M. Wilkins, qui imite assez malheureusement le showing et l'acting des méchants disneyens de David Tomlinson, lequel jouait au contraire M. Banks père dans Mary Poppins. C'est peu de dire que Colin Firth, pourtant excellent, perd à la comparaison. M. Banks qui apparaissait méchant de par sa bourgeoisie étriquée et son métier de banquier voyait son image contre-balancée par Bert qui expliquait aux enfants la dure vie de père. Que ce soit lui ou son patron, M. Dawes, tous devenaient franchement bons, ayant enfin changé de point de vue sur l'existence. Ce changement de point de vue se résume à une chanson grotesque qui ne rend pas justice à Meryl Streep, son interprète, et à sa morale: le monde est fou, soyez-le aussi, vous ne verrez plus la différence !
La différence, pourtant, on la voit ! Non seulement, le méchant n'est pas juste borné - il fait le mal en connaissance de cause - mais de surcroît, il ne peut être sauvé. On se contente de l'humilier une ultime fois quand il tente un bon geste final. Assez pathétique et en tous points contraire à l'esprit de Mary Poppins !
Dick Van Dyke fait quant à lui son retour, non pas en tant que Bert, mais là aussi en tant que clone de son "méchant" initial - comme quoi, la présence d'un méchant importait aux créateurs de ce nouveau Mary Poppins. Il s'agit du fils de M. Dawes, interprété par un acteur qui ne lui ressemblait pourtant guère dans le premier film ... Van Dyke sert de caution au volet cadet, il fait office de Yoda des Derniers Jedi, apportant un message contraire au message original. Les deux pens à donner aux oiseaux ont été donnés à la banque et servent à sauver la maison ! "Bienvenue dans la joyeuse famille des capitalistes !"
Et si le vieux M. Dawes n'était pas si mort qu'on le croit et l'avait enfin emporté sur la morale humaniste de Mary Poppins ? Et si le vrai méchant, triomphant, c'était lui ?


En réalité, peu importe, car Le Retour de Mary Poppins n'est pas un Mary Poppins mais un Basile détective privé.
Vu ainsi, le style détaché de Mary Poppins prend tout son sens: Emily Blunt joue en réalité Basile. Jane pourrait être une Dawson. Regardez bien Michael et sa moustache, ce pauvre père de famille pris en otage par le méchant directeur de banque: c'est M. Flaversham. Et ses enfants sont ses Olivia. Les huissiers sont l'équivalent de Fidget et la souris ivre que mange le grand méchant chat. Et Wilkins, le directeur de la banque, avec son portrait et sa montre à gousset, c'est le terrible Pr Ratigan ! Les alter-égo dessinés de Mary et de Wilkins dans le monde en faïence n'y font-ils d'ailleurs pas penser ?
Toujours pas convaincus ? Alors, voyez l'importance de Big Ben dans la lutte avec l'antagoniste et la fameuse devise: tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Eh, oui, on vous a bien eus: vous avez regardé un Basile Poppins !



Le Morceau de sucre qui aide la médecine à couler



Néanmoins, quelques beaux éléments sauvent le film !
Comme toujours dans les volets de saga des tenties - voir James Bond et Star Wars- les visuels époustouflants jettent de la poudre au yeux pour qu'on y voit que du feu: c'est le sucre qui fait passer l'huile de foie de morue.
Mais, dans ce film, ce n'est pas désagréable. Une scène de monde à l'intérieur du bain qui est assez mémorable, une chanson défendant la lecture et rappelant ses enjeux, une belle danse des réverbères (malgré le pseudo-rap des falotiers et le vélos qui jouent aux skates),une charge contre la généralisation dans le duo d'huissiers (même si cela s'accompagne de la logique du quota, contre-productive).
Et puis une belle devise anti-procrastination, trop peu exploitée et même niée dans une tricherie de Mary Poppins qu'on a pu redouter voir jouer les Docteur Who, l'espace de quelques secondes.
Il y a aussi le monde en faïence, différent du monde des peintures de Bert mais tout aussi beau, par ses costumes en porcelaine. Dommage qu'il y ait ce cabaret où Mary Poppins et Jack passent en vedettes ...
Et puis, surtout, la belle chanson des enfants pour consoler leur père de la perte de leur mère. Mais, attendez ...



Chem cheminée: moi j'aime c'que je fais car j'fais rien que c'que j'veux !



Attendez voir, les enfants ...
Youplà !
Mais c'est bien-sûr !
Le Retour de Mary Poppins commence bien avec la menace de perdre la maison ! Menace placardée sur la porte ! Menace qui résulte de la perte de la mère qui s'occupait des comptes et qui n'était plus là pour les faire !
Or, qu'est-ce qu'une maison de famille, une maison d'enfance, symboliquement ?
Pour Rob Marshall, un pion du Monoploy, v'là l'drame !
Pour la plupart d'entre nous, l'intimité l'identité mais aussi, plus simplement le foyer, la famille heureuse.
Sentez-vous venir ce qu'aurait dû être Le Retour de Mary Poppins pour rivaliser de génie avec son prédécesseur ?
Oui, vous avez bien compris: un film sur le deuil !
Désespéré par la perte de sa femme et par les huissiers à sa porte, Michael Banks, qui n'a plus de temps pour ses enfants, partagé entre son affliction solitaire et son travail redoublé pour payer en heures supplémentaires ce qu'il doit à la banque, demande à Jane si elle peut s'en charger. Mais tante Jane ne peut pas non plus, occupée par son militantisme. Une idée folle leur vient alors en tête: et si on appelait Mary Poppins ?
Ils ne se rappellent d'elle que comme d'un rêve d'enfant et, pourtant, la voilà, bel et bien de retour, prête à les aider ! Les enfants en manque de mère la voient comme une intruse et la rejettent. Mais la nurse sait séduire les enfants, les emmènent dans son monde magique avec Jack, le falotier qu'ils connaissent bien. Peu à peu, les orphelins de mère se livrent et la nurse accompagne leur deuil et celui du père. Le vil directeur de la banque perd son père, M. Dawes Jr, auquel il tenait beaucoup et comprend que la famille a plus de valeur que l'argent. Il cesse de tourmenter Michael qui venait lui annoncer sa démission, prêt à abandonner sa maison pour privilégier sa famille, et tout rentre dans un nouvel et bel ordre, lâcher de ballons général, deuil accompli par tous. Mary, solitaire, contemple l'accomplissement de sa nouvelle leçon et s'envole à son tour. Fin.


Youplà, n'est-ce pas plus beau ? La leçon d'espoir et de lâcher prise ne vaut-elle pas mieux appliquée au deuil qu'opposée à l'indignation contre les cabales de la Finance ?
D'autant que Ben Wishaw et Emily Mortimer sont la bonne surprise de ce métrage, restituant assez bien ce qu'auraient pu devenir Jane et Michaël.
De même que le personnage d'Angela Lansbury, qui est une belle surprise, un clin d'oeil à L'Apprentie sorcière. Mais qu'en eût-il été si ce personnage, avait été interprétée par Julie Andrews en transmission de flambeau ?


Ne vous y trompez pas, Le Retour de Mary Poppins est un beau petit film.
Mais il est loin d'être la suite que l'on était en droit d'attendre pour Mary Poppins ...

Frenhofer
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le 21 janv. 2019

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Frenhofer

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