En cette fin d'année 2018, Disney brûlent leur dernière cartouche en réveillant un mythe dont personne n'aurait jamais crû/demandé le retour. En ne comptant pas le biopic Dans l'Ombre de Mary, ce film béni a longtemps été épargné des plus viles exploitations (seuls DisneyToon Studios en dériveront un court-métrage, une dédicace hors-continuité avec The Cat That Looked At A King) mais dans une période où le studio aux grandes oreilles ne se soucie plus de violer ce qui est inviolable, la célébrissime nounou rejoint ses camarades crayonnés et une suite est commandée. Du moins, dans les faits.


Car cela est attendu, c'est un bluff, la nouvelle tendance à Hollywood de faire des suites trouillardes à des références du cinéma agace le public à une vitesse prodigieuse. Star Wars, Halloween, The Thing, aucun n'est épargné et avec à chaque fois la même erreur, confondre codes et clins d’œil. Et autant dire que Disney sont des maîtres en la matière avec leur catalogue complet qui passe actuellement au bois de justice. Mary Poppins est-elle assez résistante pour empêcher l'humiliation?


Les premières minutes vont faire durer le doute. À nouvelle ère, nouvelles méthodes de tournage. Rob Marshall filme en extérieur, livre quelques panoramas de la capitale anglaise, déplace sa caméra un peu partout dans la ville et sait qu'il va provoquer la surprise en revisitant deux décors, il nous fait entrer dans le parc pour la première fois, nous fait découvrir un gardien ferme, une mystérieuse vendeuse de ballons, une drôle de voisine accrochée à son toutou, c'est tout une partie inconnue de l'univers de Mary Poppins qui se dévoile avant la fin du voyage à l'Allée des Cerisiers où les bâtiments ne sont plus contemplés via les mêmes angles, une détonnation qui se confirme avec l'envol du cerf-volant. La mise en scène, bien que classique, est modernisée et semble promettre ce mélange de nostalgie et de rajeunissement.


Comme on s'y attend, Le Retour de Mary Poppins va calquer sa structure, scénaristique comme musicale, sur le premier film pendant 2h15. Beaucoup des anciennes chansons auront leur équivalent version 2018, A Spoonful of Sugar devient Can You Imagine That?, Stay Awake et Feed The Birds fusionnent en The Place Where Lost Thing Go, Step In Time devient Trip A Little Light Fantastic etc... De même pour les personnages ou les péripéties. La danse des ramoneurs devient la danse des falotiers, l'Oncle Albert devient la cousine Topsy, l'entrée dans le dessin devient la plongée dans le bol de porcelaine etc... De quoi grincer des dents face à un nouveau remake caché. Et pourtant l'étincelle se produit.


Dès que la gouvernante remet les pieds dans la maison des Banks et laisse son empreinte un peu partout (un regard vers le miroir, monter par la rampe d'escalier), Rob Marshall rassure en montrant qu'il ne compte pas nous émerveiller avec les mêmes fantasmagories, il va tantôt les utiliser comme des rappels comiques en banalisant ces tours de magie (la séquence du bain ne va pas appuyer le fait que Mary Poppins sort tout un bric-à-brac de son sac, la vieille Ellen n'a aucune réaction en la revoyant monter à l'étage), tantôt modifier leur signification dans l'histoire (les coups de canon de l'Amiral Boom) et surtout s'en servir pour créer de nouvelles émotions.


Il y aura entre autres cette belle scène où Jane et Michael sont sur le départ. C'est un fait exceptionnel, l'Amiral Boom descend sur le plancher des vaches, il nous est enfin accessible et se joint au voisinage pour encourager les deux adultes. Symboliquement, le geste est déjà fort mais le plus poignant reste de voir la maison totalement vide alors que nous nous nous étions habitués à son mobilier, sa décoration et ses bibelots quand l'horloge sonnait 6 heures du soir. C'est son âme qui se perd, la marque des parents qui s'en va.


Les 15 minutes en animation traditionnelle étaient inquiétantes au premier abord car démontraient l'impossibilité de se séparer de l'héritage de Mary Poppins mais là encore, la séquence varie les ambiances, propose un spectacle music-hall extasiant, joue avec les formes du vase et s'achève sur un cauchemar, voilà quelque chose de neuf bricolé avec du vieux. Dès que la copie pointe le bout de son nez, Rob Marshall réussit à ajouter de l'inédit (les allumeurs de réverbères ont droit à une deuxième grosse apparition, la nurse s'immisce davantage dans les affaires des Banks, elle cache moins ses intentions puisque la famille la connaît cette fois-ci).


Un autre bon exemple sera l'apparition de Dick Van Dyke en Mr. Dawes Jr., entièrement pensée pour l'applaudimètre. Si l'on est tenté de crier au Deux-ex machina (et on aura raison), l'idée de ressortir ce personnage tertiaire, témoin des miracles de la nounou, pour faire le lien avec le premier film est un élément de résolution génial, et confier le rôle à Van Dyke l'est tout autant.
La présence d'Angela Lansbury au casting est également un merveilleux cadeau. Cette icône Disney (Mme Samovar, Eglantine Price), qui était d'ailleurs envisagée pour jouer le personnage-titre en 1964, a droit à une jolie intervention durant le final.


Mais bien sûr, il y a à côté de ça des choses moins réjouissantes. Premièrement, Rob Marshall tient tellement à prouver qu'il a compris le film de Robert Stevenson que tout dialogue évoquant la manipulation de Mary Poppins est dénué de finesse, le scénariste David Magee nous enfonce dans le crâne avec un gant de boxe ce qu'il faut interpréter au-delà de ces mini-aventures sauf que l'on est déjà au courant de tout ça, parce qu'il y a un premier film. Petit souci supplémentaire, les trois nouveaux enfants nous sont présentés comme débrouillards, serviables et mûrs pour leur âge. Dès lors, on se demande comment, à part pour une présence maternelle, Mary Poppins peut leur être d'un quelconque secours. La trempette dans la baignoire était-elle indispensable? Même si, pour être franc, le scénario sait reprendre plus intelligemment le concept du premier opus comme lorsque The Place Where Lost Things Go est reprise pour être chantée à Michael.


Alors que le classique d'origine ne présentait pas d'enjeu clair, il exposait seulement une base jusqu'à ce que la fin nous surprenne en montrant que Mary Poppins était venue pour le père et non pour les enfants, cette seconde aventure tente de refaire la même chose difficilement. Elle ne cherche plus à cacher au public la vérité mais les liens affectifs qu'entretiennent les bambins avec leur père semblent au beau fixe et il est étrange que l'on n'insiste pas plus sur leur impossibilité à faire le deuil de Kate Banks. C'est finalement plus le sauvetage de la maison qui semble prioritaire au renforcement de le famille. Quelque chose que le premier film avait su mieux gérer en rendant son emploi au père comme simple récompense.


Mais le plus énervant est cette idée idiote d'avoir écrit un méchant. Pas un personnage pathétiquement drôle comme l'était Mr. Dawes Sr. non, un vrai méchant, un obstacle. Alors que le script aurait pu avancer de la même façon sans lui.
Dernier reproche, Lin-Manuel Miranda, comme on le craignait, n'est là que pour camper un sous-Bert. C'est un gai luron, un bon compagnon de Mary Poppins mais qui, en-dehors de son passage rap, n'a rien qui le distingue. Bert était clownesque mais il était impensable d'imaginer l'héroïne accomplir son but sans son aide. Il faisait le plus gros du boulot et il n'y en avait pas deux comme lui. Jack n'a été créé que pour le remplacer et semble s'inviter tout seul dans ce bazar.


Viennent maintenant les deux plus gros atouts et pas des moindres. On ne pouvait rêver meilleure comédienne que Emily Blunt pour prendre la relève de l'immense Julie Andrews. L'actrice est une des plus talentueuses de sa génération et nous l'acceptons immédiatement comme la nouvelle Mary Poppins. Un poil plus stricte et moins jeune, elle est parvenue haut la main à se différencier de l'ancienne version tout en nous donnant l'impression de retrouver le personnage. Bref, elle est "à peu de choses près parfaite en tous points". Et le défi était énorme. Presque impossible.


Défi et impossible. Voici les mots qui conviennent pour désigner la tâche qui attendait les successeurs des Frères Sherman. Mary Poppins est indubitablement le monument musical de Disney, leur plus grande bande-originale, toutes œuvres et toutes périodes confondues, le synonyme de perfection. Marc Shaiman et Scott Wittman avaient du pain sur la planche et bon sang qu'ils s'en sont admirablement sortis. Déjà, il faut féliciter le compositeur et le parolier pour n'avoir voulu inclure que des nouveaux morceaux, ne faisant allusion aux musiques originales que le temps de quelques extraits. Les neuf titres-phare sont d'une qualité remarquable, épousant sublimement le style des Sherman et étant écrits avec autant d'amusement et de passion que les chansons cultes d'il y a 54 ans.


Bien qu'il reste possédé par le spectre d'un classique inimitable, Le Retour de Mary Poppins procure une sensation de bien-être qui arrive partiellement à retrouver la magie que Walt Disney avait donné à son film-somme un demi-siècle plus tôt. À cette époque, nous faisions voler un cerf-volant, aujourd'hui, le ballon a pris sa place et nous nous envolons avec lui. Mary Poppins est revenue et ça fait du bien.

Walter-Mouse
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le 20 déc. 2018

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