J'aime beaucoup Michael Haneke et, pour une raison qui m'échappe encore en partie, je suis un peu déçu de ce ruban blanc. Sans doute parce que je m'attendais à une création de plus grande ampleur cinématographiquement, émotionnellement, surtout à être surpris. Et puis peut-être que le fait d'avoir vu "Fanny et Alexandre" d'Ingmar Bergman il n'y a pas si longtemps m'empêche de trouver de l'originalité à ce pasteur on ne peut plus mortifère et destructeur. Si j'essaie de faire abstraction de tous les films qui évoquent de près ou de loin l'espèce de système social où la religion s'ingénie à asphyxier les relations entre les individus, où les corps sont ressentis comme des menaces à l'ordre, ou pire comme des immondices à malmener, à contrarier coûte que coûte, à nier de manière résolue et éternelle, si je parviens à considérer le film d'Haneke dans son intégralité sans faire de comparaisons plutôt injustifiées (on devrait jamais se laisser aller à ce genre d'approches, c'est pourtant un vice auquel je m'adonne moi même), comme si on évoquait ce type de dégénérescence civilisationnelle pour la première fois, alors il serait tentant bien entendu de parler de très grand film.

Alors? Sois honnête camarade, et admets au moins qu'Haneke sait y faire. Sa direction d'acteurs est irréprochable, bien plus, elle est époustouflante. L'écriture du scénario est très efficace et que dire que découpage du récit, de la mise en image, de ce très beau noir & blanc, de cette astucieuse et très forte capacité à marquer les esprits par de longs plans fixes?

Les plans-séquences en disent bien long sur la très grande difficulté des personnages à vivre dans ce que l'on appellerait un univers serein. Ces scènes finement conçues montrent parfaitement comment la vie dans ce petit village à l'aube du premier conflit mondial est putamment gangrénée par la religion, par un patriarcat d'une violence incroyable à l'égard des femmes et des plus faibles, les enfants n'étant pas épargnés non plus. L'étouffement s'impose. Une sorte de putréfaction mentale illustre la pitoyable philosophie ou morale chrétienne qui préside aux destinées d'un monde où la misère sexuelle écrase toute velléité de liberté. Aucune famille n'échappe au sordide. C'est ce qui est le plus dur à subir en visionnant le film : que ce soit l'inceste, la violence phallocratique, celle qu'endurent les enfants, la domination sociale de l'aristocratie terrienne sur la communauté paysanne, ou bien encore la violence gratuite dont on ignore la cause et qui finalement sert de catalyseur, de prétexte à faire surgir tous les maux réels mais enfouis, tout le monde est obligé de se colleter avec ce pathos.

Seul l'instituteur et celle qui a trouvé grâce à ses yeux émergent un petit peu, constituant un petit ilot d'humanité et d'amour, d'espoir aussi, une sorte de respiration de couleurs qui ne durera pas, la guerre étant ici en germe. Cette présence apparait alors incongrue et démontre par contraste combien le reste de la petite société vit dans une douleur permanente, une existence vouée à l'incomplétude, le plus souvent morbide, pour résumer.

Les acteurs sont tous très impressionnants. Même les enfants sont froids. A ce propos, le noir & blanc parait non seulement esthétiquement justifié, mais surtout indispensable pour rendre le récit "acceptable", plus crédible encore, en tout cas totalement approprié.

Et c'est fort dommage que le blu ray soit d'aussi médiocre qualité. Sur les scènes sombres, les contrastes disparaissent complètement. Quant aux blancs, ils crachent une purée de grains épouvantable. Autant dire que la plupart des détails sont invisibles. Je n'ai pas de chance en ce moment, je me tape coup sur coup des blu rays indignes.
Alligator
8
Écrit par

Créée

le 3 févr. 2013

Critique lue 452 fois

2 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 452 fois

2

D'autres avis sur Le Ruban blanc

Le Ruban blanc
Matrick82
8

"Ce film c'est de la dynamite" (Alfred Nobel)

*ATTENTION, LA LECTURE DE LA CRITIQUE SUIVANTE PEUT NECESSITER UN MINIMUM DE SECOND DEGRE ET HEURTER LES MINEURS* Françaises, Français, Belges, Belges, SensCritiqueuses, SensCritiqueurs, Salut ma...

le 22 mai 2013

125 j'aime

52

Le Ruban blanc
guyness
8

Mystère austère au presbytère

Putain, on est pas là pour rigoler ! Si vous ne l'avez pas encore vu, soyez éclairés au moins sur ce point: ça va chialer dans les chaumières. On est d'accord, rien ne se prête à la gaudriole à...

le 28 janv. 2012

69 j'aime

9

Le Ruban blanc
Pukhet
10

Prémices horrifiques

Michael Haneke l'a dit lui-même : «Le Ruban Blanc est un film contre tous les extrémismes. » bit.ly/RQbkdc Et ici, l'illustration est faite de l'Allemagne à l'aube de la Première Guerre Mondiale,...

le 11 nov. 2012

48 j'aime

3

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime