Dans une sombre contrée d'Amérique Centrale, les hommes égarés par ici ont l'occasion de vérifier l'inanité des paroles de Charles Aznavour : "Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil".
Cette vue de l'esprit se révèle cruellement fausse sur cette terre hostile, où les américains se sont appropriés les gisements pétroliers, tandis que les autochtones et les mercenaires se partagent le peu de travail et de nourriture disponibles.


Parmi ces hommes, il y a Mario (Yves Montand), un Français qui ne rêve que de repartir, mais comment? Les routes et les chemin de fer ne desservent pas cette ville maudite, et un billet d'avion n'est pas dans ses moyens.
Luigi (Folco Lulli), son colocataire, travaille comme un damné sur les chantiers qui lui abîment la santé, dans l'espoir de réunir enfin une somme décente.


L'arrivée de Monsieur Jo (Charles Vanel), un autre français, vénéré par Mario, vient rebattre les cartes un bref instant, mais c'est un terrible accident dans les puits de pétrole qui va constituer une véritable échappatoire pour les candidats au grand départ.
Les américains cherchent en effet quatre chauffeurs, dotés d'assez de sang-froid et d'inconscience pour acheminer deux camions de nitroglycérine sur les lieux du drame, et bénéficier ainsi d'une prime de 2000 dollars chacun, véritable sésame pour une vie meilleure sous d'autres cieux...


Avec "Le salaire de la peur", Clouzot signe un film d'aventure aux allures de thriller, puisqu'après cette longue phase d'exposition, on suit le trajet semé d'embûches de nos quatre morts en sursis. Sur cette route montagneuse accidentée, les caractères se dessinent, les hommes s'affirment ou s'effondrent sous le poids du danger permanent. La peur est une sensation insidieuse...


Plus largement, Clouzot s'intéresse à l'être humain, lorsque celui-ci est ramené à son état animal, lorsqu'il n'existe plus d'ordre établi, lorsque chacun est confronté à sa propre nature, sans garde-fous socio-psychologiques.
En même temps, ces hommes doivent collaborer, s'entraider pour mener à bien leur terrible mission. Quelle place peut s'octroyer la fraternité, lorsque chacun lutte pour sa survie?


Seul film à avoir été primé la même année à Cannes et à Berlin, "Le salaire de la peur" est de l'avis général une œuvre marquante, réalisée par un très grand cinéaste.
Pourtant, dans la superbe filmographie de Clouzot, ce sixième long-métrage est loin d'être mon préféré.


Si le réalisateur français excelle à mettre en scène une tension de chaque instant, je ne suis justement pas un grand adepte de ce genre de récit fondé sur le suspense "pur".
L'arrière-plan dessiné par Clouzot s'avère plus captivant, avec une critique sous-jacente du capitalisme et de l'hégémonie américaine. Mais du coup, cette phase d'exposition qui s'étire sur plus d'une heure pourra apparaître légèrement longuette.
On pourra encore chipoter sur l'interprétation parfois un brin approximative, notamment de la part d'Yves Montand ou Peter Van Eyck.


Au final, en dépit de ces quelques réserves anecdotiques, "Le salaire de la peur" reste un classique de plus à mettre au crédit de Clouzot, décidément capable d'aborder tous les genres de fiction.
S'il n'atteint pas à mon goût les sommets du "Corbeau" ou de "L'assassin habite au 21", le cinéaste français signe un film formellement époustouflant et non dénué de fond, marqué par une pirouette scénaristique finale qui illustre bien le pessimisme invétéré du bonhomme.

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le 13 mai 2016

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Val_Cancun

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