Vu entre 5 et 10 fois.

Au cinéma, des tueurs à gages, des as de la gâchette, on en a vu défiler quelques-uns, alors maintenant faut se lever tôt pour créer un personnage de ce genre capable de se démarquer. Léon en fait partie. D'abord il y a ce look à la John Lennon caché des lunettes de soleil rondes, sous un bonnet de pêcheur usé, et une barbe d'une semaine poisseuse, et puis cette double personnalité, de mec timide et assez gauche dans la vie de tous les jours, qui ressemble à un grand nigaud un peu naïf sans son imper et sans ses lunettes, mais qui devient une formidable machine à tuer au sang froid implacable, un (énorme) flingue à la main.

La classe de Léon est affichée et démontrée dès la scène d'intro, qui représente un contrat « banal » pour le personnage, qui en 10 petites minutes, fait l'étalage de son courage en s'attaquant seul à toute une équipe de garde du corps armés, et de ses talents d'infiltration, de ruse, d'exécution silencieuse, de manque total de pitié (« un mec du genre sérieux... »), de son pragmatisme total, épargnant la vie à sa cible (le gros lard qui voulait jouer les durs à New York et se retrouve à se pisser dessus en vidant les chargeurs de ses Uzi dans le vide avec le fol espoir de toucher quelque chose...) après s'être assuré que le message de son employeur était bien passé. Tout de suite, on se rend compte que l'on à affaire à un polar brutal de la trempe de Nikita, et à un personnage peut être encore plus fort, en tout cas beaucoup plus profond que Victor le nettoyeur, qui était super bourrin et inarrêtable, mais pas tellement finaud dans le choix de sa tactique...

Les scènes d'actions sont finalement peu nombreuses dans Léon, mais sont de véritables tornades, entre cette ouverture et le siège final de l'appartement. Mais même entre temps, Besson a su brosser un personnage intimidant même à froid, comme le sous titre l'indique bien, « The Professionnal », le mec qui ne vie que pour tuer, qui astique tout son arsenal entre deux missions pour s'assurer que son matos ne le lâchera pas lors de son numéro longuement répété, qui emporte sous son long imperméable assez de grenade pour faire sauter un immeuble, qui fait des pompes et des abdos à la russe, sans le moindre matériel, coincé entre deux chaises, et qui ne s'abaisse même pas à dormir dans un lit, mais assis dans un fauteuil, l'oreille en alerte. Il bois du lait parce que c'est bon pour garder la forme, gagne une fortune à monnayer son précieux talent au vieux Tony, mais sans avoir la moindre idée de ce qu'il pourrait faire avec cet argent, vit dans un appartement pourris et mène finalement, hors de ses contrats, une vie plus chiante que celle d'un contrôleur de billet de la RATP.

Face à un héros aussi puissant, digne des westerns les plus extrêmes (finalement, Léon est un western Spaghetti moderne et urbain, et le personnage, un chasseur de prime extraordinaire pistolero arborant une tronche mal rasée...), le risque était que l'heure et demi de film soit une promenade de santé, et que les méchants fassent pâle figure. Heureusement, il y a Gary Oldman, l'acteur américain fétiche de Besson à cette glorieuse époque, pour camper un flic pourris halluciné, et hallucinant. Ce Stansfield est aussi mythique que Léon, avec son walkman cassette sur les oreilles, à écouter de la musique classique tout seul dans son monde créé à coup de petite boule roses. Lui aussi a le droit à sa scène de présentation, quand il massacre la fleur au fusil toute la famille de Mathilda sur du Beethoven. On découvre un personnage complètement camé et n'ayant plus aucune notion de danger. Même ses hommes sont à crans pendant qu'il mène tranquillement son safari d'appartement. Le visage couvert de sueur de Gary Oldman est ainsi terrifiant, c'est celui d'un mec prêt à tout car déconnecté de la réalité, un flic respectant finalement encore moins de valeurs que Léon le tueur à gage.

Car si Léon, très semblable dans son approche à Ghost Dog, respecte consciencieusement un code martial même dans l'exécution de son sanglant métier (« ni femmes, ni enfant », Stansfield le policier (« Serve and Protect » comme ils disent...) cloue la belle mère et la demi-sœur de Mathilda à coup de fusil à pompe, juste pour passer les nerfs de ne pas avoir récupéré son argent.

Le cas du petit frère de 5 ans est différent, ce dernier prenant une balle perdue hors caméra –il y a quand mêmes limites au trash- afin de faire de Mathilda une orpheline totale et de lui donner une véritable raison de se venger. On revient au schéma du western, genre se délectant des éternelles histoires de vengeance (« Il était une fois dans l'Ouest » en tête). La mort de ce petit garçon sera le moteur de la soif de la jeune fille de devenir nettoyeur elle aussi, est donc, par effet de causalité, de provoquer le clash entre Léon et les hommes de Stansfield.

Au passage, Besson réalise quelque quelques très beaux plans, comme l'arrivée de la bande de Stansfield qui se déploie nonchalamment dans le couloir des appartements avant d'avoir une petite conversation « business » avec le père de Mathilda.

Mathilda, le troisième personnage majeur de l'histoire, est l'élément perturbateur qui va dévier Léon de son destin. Avant le carnage, elle n'était qu'une voisine un peu rebelle (et tête à claque quand même, avec sa clope au bec) de Léon. On sent quand même que Besson a voulu que les deux héros soient liés par un début d'atomes crochus au démarrage de l'histoire. Même s'il ne se connaissent pas vraiment, ils se disent bonjour et parlent un peu dans les couloirs, elle qui n'aime pas sa famille et se fait cogner dessus semble s'attacher à ce voisin d'apparence si paisible, sans savoir la vérité de sa vie.

D'ailleurs, c'est cette relation de bon voisinage qui va sauver Mathilda du carnage, alors qu'elle s'absente, partie gentiment faire les courses de Léon en allant lui chercher des bouteilles de lait. Son retour sur le lieu du carnage représente l'une des scènes les plus fortes du film, le point de non-retour, quand elle découvre que son appartement est sauvagement pris d'assaut et qu'on n'y fait pas de prisonniers, et que, par instinct de survie, elle s'invente sur le champ une autre vie en sonnant à la porte de ce mystérieux voisin, avec la seule idée de survivre. La scène est tendue et le suspens bien entretenu par les hésitations de Léon à ouvrir la porte et à se mêler d'une affaire qui n'a rien à voir avec... ses affaires, et pleine d'émotion grâce au jeu de Nathalie Portman, en pleurs, devant la peur de mourir, suppliant discrètement son voisin de lui ouvrir sous le regard suspect d'un des hommes de mains du méchant flic. Léon qui panique un instant, se demande s'il doit se mêler de cette affaire ou abandonner la fillette, et finalement, la lumière de la porte ouverte qui illumine le visage de Mathilda, comme si elle venait d'accéder au paradis (encore un bel effet de caméra de la part de Besson).

« Si tu m'aides pas je serais morte ce soir, ça j'en suis sure, et j'ai pas envie de mourir ce soir »

Et là, Léon, qui était un dur de chez dur, redécouvre la vie sous un nouvel angle (cette fois ci, le film lorgne un peu vers Terminator 2 par sa thématique d'humanisation d'une machine à tuer). Peu à peu, il va se ramollir, ou pour le dire de façon plus valorisante, redevenir un homme au lieu de rester la machine qu'il était devenu depuis toutes ces années. Il n'arrive pas à chasser sa jeune protégé de sa planque, puis il s'avère incapable, après un réveil brutal au cœur de la nuit, de la « nettoyer » purement et simplement alors qu'il possède le savoir-faire pour la faire disparaitre facilement de la circulation. Puis il va accepter de la prendre sous son aile, et même de lui apprendre les rudiments de son étrange métier, tout en découvrant auprès d'elle les notions de famille, loisirs, jeux, culture pop, amitié, et presque d'amour, en tout cas platonique. Tout le milieu du film, entre le carnage et le siège final, change de braquet pour basculer du film d'action au film plus psychologique, et nous montrer la construction de ce couple au quotidien, tant dans l'apprentissage du métier de nettoyeur, que dans les tâches ménagères. Ces scènes font toutes la différence entre Victor de Nikita, qui n'était qu'un super agent sans concession mais ne disposait d'aucune profondeur et finissait par crever d'une mort un peu ridicule, et Léon, qui possède un passé, visiblement très difficile, expliquant son caractère gauche et asocial, mais qui va énormément évoluer et s'adoucir auprès de Mathilda, pour devenir un personnage plus nuancé, plus attaché, plus vulnérable, donc plus intéressant.

Léon s'humanise, mais il se ramolli aussi, il n'est plus le robot tueur infaillible, comme le montre son effondrement avant de partir en mission, par peur de perdre une vie qui commence à lui plaire (en un sens, comme Stansfield, Le Léon du début de film est un personnage qui tire sa force de son absence de peur et d'hésitation), ainsi que la blessure qu'il subira et endurera en silence à l'issue d'un contrat banal.
Attardons-nous sur un dernier personnage, secondaire mais plus important que les autres, le vieux Tony. Le vieux Tony, c'est l'employeur de Léon, et l'on comprend qu'il est un des mecs qui tiennent les rues New York. Stansfield le connais mais évite, autant que possible, de lui chercher des poux, il est le seul intermédiaire et passeur d'ordre auprès de Léon, mais aussi son comptable en banquier, car « personne ne braque le vieux Tony », et au fil des conversations, on découvre aussi qu'il a du faire beaucoup pour Léon, qu'ils sont complices depuis de longues années, voir qu'il l'a aidé à entrer en Amérique, et à retrouver un chemin à peu près droit après des errances de jeunesses. Un homme de confiance, qui semble gérer honnêtement le trésor de guerre de Léon, qui s'inquiète et s'étonne de voir ce dernier réemployer des armes et tactiques de débutants quand il lui rend un fusil à lunette poussiéreux, mais un pragmatique, qui se rend compte que son entente cordiale avec la D.E.A ne survivra pas à l'expédition punitive de Léon, décimant les hommes de Stansfield à la grande colère de ce dernier (pas mal le flashback de l'élimination surprise en territoire « Chinois »). Et se voit contraint de lâcher le morceau au sujet de la planque du professionnel. On sent qu'en dehors de la courte période couverte par le film, ce vieux Tony avait pris Léon sous son aile (ce qui pourrait faire à mon avis l'objet d'une histoire prequelle si un jour un quelqu'un décidait de relancer la licence Léon...), et qu'après le « The End », il surveillera aussi Mathilda du coin de l'œil e, veillant à sn avenir.

Enfin, il y a ce final et la prise d'assaut de l'appartement de Léon par les unités tactiques de la police de New York, un bon gros morceau de bravoure, la cerise sur le gâteau, qui hisse cette production made in France au niveau des meilleurs standards de la décennie. Besson parvient, comme durant tout le film, à flirter avec le « ridicule car abusé » lui aussi digne du Western Spaghetti, sans jamais franchir le point de non-retour. Léon est un mec du genre sérieux, ça on finit par le comprendre quand il parvient à tenir tête à des dizaines de policiers déployés dans la rue, en en flinguant une bonne brochette sans remord et sans pitié.

D'ailleurs l'ambiance de cette scène est particulière, un peu malsaine. Stansfield est un pourris, mais il est flic. Léon est le héros, mais c'est un tueur de la mafia. Et entre deux, la chair à canon, ce sont de pauvres types, des flics n'ayant aucune idée des trafics et combines de leur supérieurs, brefs des innocents qui se font tirer comme des pigeons, certains n'étant pas loin de concourir au pris Darwin (spécialement celui qui se fait prendre en otage par Léon et qui fini troué par les balles de ces collègues !). Léon se planque, joue à l'araignée en laissant ses proies entrer dans sa toile, puis surgit du plafond comme un contorsionniste (visiblement, les séances d'abdos n'ont pas été inutiles !), et se hisse au rang des plus dangereuses et implacables machines à tuer du cinéma dans une scène énorme.

La douche des systèmes anti-incendie, les volutes de fumée, les impacts de balles, le mobilier déchiré, les pointeurs lasers des snipers parcourant la pièce, les flics et Besson sortent le grand jeu. La photographie est très propre, ce vieil appartement pourri de Brooklyn dégage un petit quelque chose, et quand la grenade explose au milieu de la cuisine, le suspense est total ! Franchement, la première fois que j'ai vu le film, j'ai été surpris de découvrir que le survivant masqué évacué de l'appartement par les flics était Léon, et je me suis pris à croire quelques minutes qu'il allait s'en sortir vivant ! Et l'idée de le faire passer en revue tout l'attroupement des renforts policiers massés dans l'immeuble est excellente pour étaler la détermination et les pouvoirs de Stansfield à nettoyer lui aussi, la panique qui règne dans le N.Y.P.D, et la mort assurée qui attendais le héros, si fort fut-il, s'il avait décidé de se la jouer bourrin et combat frontal comme son grand frère Victor. Léon est plus malin que Victor, et n'étais pas loin de réussir son coup, avant d'être fauché par le badguy sur la dernière ligne droite, dans un final inoubliable entre le héros et le grand méchant, qui disparaissent tous les deux dans une dernière entourloupe.

« Stansfield ? »« A ton service ! »« Ca c'est de la part de ... Maltida »« Chiote... »

Point de happy end dans Léon, juste un match nul, qui participe à l'aura du personnage. Des fois, il vaut mieux partir en beauté sur un gros bouquet final, plutôt que de s'en sortir miraculeusement à coup de rebondissement fumeux, et si la mort de Léon surprends, elle est évidemment la plus belle issue possible pour ce conte mature.

Les plus :
Le personnage principal, incarnation du tueur implacable et surpuissant
Stan, complètement allumé
La révélation de Nathalie Portman
Relations douces amères entre un couple atypique
Un arsenal Counter Strikesque et des fusillades stylées
Le siège final, mémorable
New York Newwwww Yorrrrrk !

Les moins :
Bouhou ils ont tué Léon !
Le massacre des flics à la fin, « GTA style »
Les voix françaises caricaturales
Le personnage de Mathilda, un peu trop écartelée entre la jeune fille et la déjà femme
Quand on y repensé, c'est quand même grave abusé !
Dauntless
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le 28 avr. 2012

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Dauntless

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