Chef d'oeuvre westernien précieux et jubilatoire maîtrisé par Quentin Tarantino le salopard

Après le « Josey Wales » eastwoodien et le remake de Delmer Daves par James Mangold (« 3 heures 10 pour Yuma », version 2008), voici que se clôt ma saga westernienne de fin d’été.
Vous allez essayer de trouver le titre de mon dernier W. Vous l’avez déjà trouvé ? Certains, en se trompant, vont me dire « Django ».
Non, « Django » est le titre d’un W spaghetti sorti en 1966 et dont le personnage principal qui tire ce fameux cercueil a été créé par les frères Sergio et Bruno Corbucci.
Le vrai titre est « Django unchained ». Celui-ci ne fait que reprendre le titre du film et la chanson originale de 1966 chantée par Rocky Roberts, l’interprète italien du moment.
Non, ce n’est pas « Django unchained ». Il s’agit donc des « 8 salopards », second western réalisé par Quentin Tarantino, puisque j’ai déjà critiqué le précédent long-métrage cité.
Mon W final, le numéro sept : « Les 8 salopards ».


Synopsis : fin de la Guerre de Sécession. En diligence, John Ruth le Bourreau, avec sa prisonnière Daisy Dommergue, emmène cette dernière se faire pendre à Red Rock. Sur sa route, il croise le chemin du commandant Warren, un autre chasseur de primes, et du nouveau shérif de Red Rock. Coincés par le blizzard dans une auberge, ils vont faire connaissance un confédéré, un mexicain, un cowboy et Oswaldo le court-sur-pattes. Chacun s’invente une histoire pour ne pas laisser sa peau en pleine montagne et surtout sortir vivant de cette auberge. Qui est le menteur et pourquoi ?


Dès sa séquence d’introduction alias son générique de début, le réalisateur de « Boulevard de la mort » a l’art de poser son cinéma et ainsi de descendre de son piédestal de metteur en scène virulent. Avec cette croix du Christ, les premières notes inquiétantes de la bande-son morriconienne, la mise en ambiance en une caméra stable montrant les paysages montagneux américains, et la venue tranquille de la diligence du hors champ jusqu’au premier plan, Quentin Tarantino laisse augurer une ambiance en une mise en scène fluide et délectable.


De même, cette organisation en chapitres et en scènes soignées et carrées découle cette mise en scène épurée où Tarantino nous invite de notre plein gré et nous guide pour mieux nous imprégner de son ambiance, mortifère à souhait en seconde partie. Ambiance palpable dès le début en nous maintenant scotché dans notre fauteuil pour une virée exaltante.
Seconde partie qui débute donc par une narration, une première chez Tarantino qui en profite pour couper son western en deux : au cinéma et seulement dans certaines salles, un entracte est visible. Ainsi, je peux dire qu’il s’agit d’une pièce de théâtre à la John Ford puisque Quentin puise son académisme à rendre son western le plus parfaitement possible et son goût de façonner son film en chapitres façon « La prisonnière du désert ». Joker.


Je tiens également à préciser que « Les 8 salopards » a été tourné en Ultra Panavision 70 mm pour permettre un rendu visuel accru. Ce format a été utilisé pour la dernière fois par Basil Dearden en 1966 sur son « Khartoum », et pratiqué par Lewis Milestone (« Les révoltés du Bounty ») et Ken Annakin (« La bataille des Ardennes ») notamment.
La photographie qui en ressort est ainsi lumineuse en extérieure et l’on ressent le doux parfum du beau western qui fait du bien aux yeux. On sent l’expert non pas du revolver, mais bien l’expert qui prend son temps de soigner sa photo en un défilé de couleurs tarantinesques, comprenons un défilé qui a l’art de passer du blanc au rouge en un montage parfait (rapide) et non nerveux. Et Robert Richardson, le directeur de la photographie, de nous envoûter. Il a fait ses armes chez Oliver Stone (« Salvador », « The Doors », « Entre ciel et terre ») puis est devenu habitué scorsesien (« Casino », « Aviator », « Hugo Cabret »). Rien que ça !


Toujours sur l’ambiance, que serait « Les 8 salopards » sans musique, déjà évoqué ci-dessus ? Pas grand-chose étant donné qu’il s’agit d’Ennio Morricone à la composition (si !). Il apporte ici son charme et son style à ce western de genre même si ces partitions de salopards ne resteront pas gravées éternellement dans le cinéma. Ici, Morricone fait du Morricone sans transcender son nom ni apposer son style inimitable sur un énième western. Tarantino a dû choisir Ennio pour sans doute rendre hommage au western spaghetti. En témoigne ces partitions noires, aux chœurs lyriques limités, et à une absence de ton dans ses habituelles rythmiques. Ici, le compositeur de « La bataille d’Alger », des « Incorruptibles » et de « Mission » ne possède pas son aura si caractéristique. Dommage… car il était pourtant accompagné par l’Orchestre symphonique national tchèque. Merci quand même Ennio !


Ensuite, Quentin, qui a participé à l’écriture de « Rock » sans être crédité au générique, trousse un scénario habile mêlant personnages assez stéréotypés mais bigrement mis en avant (sa mainmise sur sa direction d’acteurs) sur une histoire qui prend tout son sens grâce à sa maestria coutumière à nous transporter dans les motivations de ses personnages. Quentin le scénariste nous joue un tour et c’est là-dessus que nos nerfs sont mis à rude épreuve.
Avec son sens du verbe et des dialogues tous plus incisifs les uns que les autres, Tarantino m’a cloué sur place et ce, grâce à son talent de nous maintenir en haleine, dans cette auberge qui sent bon le mensonge et le défouraillage.
Une fois le final atteint, on se tient devant un sommet du western pour un huis clos mémorable et jubilatoire. Tarantino soigne son histoire pour mieux nous fusiller sur place, dialogues acerbes obligent ! Café !


Les têtes que nous propose le lauréat du César d’honneur 2011 sont tarantinesques. Jouissives et explosives, sanguinolentes, pétaradantes. Tarantinesques.
Samuel L. Jackson incarne le commandant Warren, ce chasseur de primes si sûr de soi et éclatant de vérité, qui sait tout sur tout, et tellement démonstratif. Une belle interprétation en somme pour le Prix d’interprétation masculine de 1991 à Cannes (« Jungle fever »). Ou quand la star de « Une journée en enfer » et de « Incassable » nous fait sa leçon de cinéma. Merci Samuel !
Kurt Russell, le Bourreau John Ruth déloyal et intolérant, s’impose comme une forte tête irrespectueuse et sa barbe et son fusil le fait atout maître des « 8 salopards ». Ou quand l’acolyte de John Carpenter (« Le roman d’Elvis », « New York 1997 », « The thing ») ‘se la joue’ à l’écran. Vu dernièrement dans « Deepwater » de Peter Berg.
Avec également Michael Madsen le cowboy désabusé. Sa naturelle bonhomie fait de son personnage un élément sympathique du scénario. Son revolver aussi. « Kill me again » avec Vil Kilmer l’impose comme l’acteur du moment. Une figure des 90’s-2000’s : « Thelma & Louise », « Les hommes de l’ombre », le bondien « Meurs un autre jour »… .
Jennifer Jason Leigh joue une Daisy Dommergue crasseuse à souhait. Son rôle de prisonnière est mémorable, tout comme le duo qu’elle forme avec Kurt Russell est impeccable. Une très belle interprétation pour un rôle de composition. Bravo Jennifer ! D’autant qu’il s’agit également d’une actrice incontournable de la double décennie 1990-2000 : « JF partagerait appartement », « Existenz », « Les sentiers de la perdition ».
L’anglais Tim Roth complète ce casting de malade en incarnant Oswaldo le court-sur-pattes avec une élégance et un charme digne d’un Michael Caine. Son phraser et son parler est tellement sobre qu’il passe pour un cowboy dandy montrant les bonnes manières de l’auberge qu’il a investi avec ses hommes, Michael Madsen en tête. Révélé par Stephen Frears et starifié par Tarantino (« Reservoir dogs »), Tim tournera pour James Gray, Burton, Coppola et Haneke notamment. C’est dire l’immensité de son talent.
Et pour terminer ce casting tarantinesque, Bruce Dern est ce général confédéré assis sur une chaise pendant tout le film mais qui tient tête aux tueurs Samuel L. Jackson et Kurt Russell pour ne pas terminer en chair à saucisses. Un rôle en or pour une prestation au cordeau. Excellent, Bruce ! Prix d’interprétation masculine pour « Nebraska », le père de Laura Dern est surtout connu pour avoir joué sous la direction de Claude Chabrol (« Folies bourgeoises »), Hitchcock (« Complot de famille ») ou John Frankenheimer (« Black Sunday »).


Pour conclure, le metteur en scène palmé Or en 1994 pour « Pulp fiction » a mitonné un western esthétique qui allie son stylisme et ambiance westernienne à la sauce crépusculaire, avec la fin des héros solitaires dans la forme. En cela, le début et le final résonnent comme un clap de fin sur la parenthèse western que s’est offert Quentin Tarantino.
En effet, le réalisateur de « Jackie Brown » s’apaise comme jamais, dirige ses acteurs de manière à les mettre en avant au détriment de son scénario pourtant bien écrit et retranscrit au diapason par Tarantino lui-même.


Finalement, « The Hateful Eight » (2015), production Weinstein, est ce chef d’œuvre westernien délectable, réjouissant et précieux maîtrisé par un Quentin Tarantino au meilleur de sa forme.
Ames sensibles s’abstenir et interdit aux moins de 12 ans.
Spectateurs, salopard est un métier qui mérite toute votre attention si vous voulez rester en vie… .


PS : premièrement. 2016 a vu Ennio Morricone se faire décerner pour la première fois de sa carrière un Oscar ; et Jennifer Jason Leigh de recevoir le Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle.
Deuxièmement. J’ai vu dernièrement « Once upon a time in Hollywood » et j’ai un sentiment partagé tant je me suis ennuyé en première partie et pourtant, la seconde partie est jouissive. Bancal, son dixième film aurait pu être autre s’il ne s’était pris pour Scorsese car son sujet et son final, dans le traitement, ressemble énormément au style du metteur en scène de « Taxi driver ». Un film moyen donc pour caractériser le dernier Tarantino.

brunodinah
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le 17 oct. 2019

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