L'auberge rouge, le manteau blanc et l'homme noir

Parler du nouveau Tarantino sans dévoiler en tout ou partie son intrigue est un exercice assez périlleux. Mais parce que je t'aime, toi, qui viens parfois me lire, je vais essayer de te donner envie d'aller voir Les 8 Salopards tout en préservant les surprises qu'ils recèlent et sur lesquelles tout l'impact du film est construit.


Si la bande annonce te promettait un sacré western, tout comme pouvait l'être Django Unchained, Les 8 Salopards se rapprochent pourtant bien plus, dans sa dramaturgie, d'un Reservoir Dogs matiné de whodunit, même huis-clos où l'on se perd délicieusement en conjectures sur la véritable nature des protagonistes. S'agissant de l'atmosphère, le ton est donné dès les premières secondes avec cette musique d'Ennio Morricone magnifiquement dérangeante qui impose instantanément le malaise, mais sur lequel on n'arrive pas à mettre le doigt. Appartient-elle d'ailleurs réellement au genre western ? Il y a ensuite cette diligence qui chemine, la tempête dans le dos et qui s'arrête à plusieurs reprises pour convoyer des naufragés. Oh, non sans méfiance, puisque le Bourreau l'avait d'abord privatisée pour amener sa prise du jour à la potence.


Tarantino saisit au bond l'occasion de présenter les quatre premiers personnages dans ce premier lieu confiné, entre guerre de sécession et regard posé sur les différents caractères. C'est le couple enchaîné Bourreau / Daisy Domergue qui retient l'attention. Méfiant, il redoute qu'on le double. Amusée et loin d'être apeurée, elle encaisse les coups en répondant avec acidité. On sent bien que quelque chose ne va pas. Que tout ne s'imbrique pas.


A l'horizon, la Mercerie de Minnie se détache. Et définitivement, y'a un truc qui cloche. Cette porte qui ne ferme plus, cette cafetière d'un bleu vif, toutes ces coïncidences, ces quatre nouveaux personnages qui, eux aussi, y ont trouvé refuge... Début du second huis-clos, cette fois-ci jouissif et pervers, à peine descendu de la diligence. Seul Tarantino sait ce qu'il va arriver à ces 8 Salopards. On l'imagine en train de jubiler derrière la caméra à l'idée de perdre le spectateur et de brouiller les pistes. Jusqu'à en oublier ses références systématiques... Mais pas son amour des longs dialogues ciselés et des scènes de tables, loin de là. Ce qui constitue peut être la seule faiblesse du film au début de son deuxième tiers.


Cependant, le réalisateur agit comme une araignée. Il tisse les relations entre les personnages via le dialogue, entre anecdotes bigger than life et inscription dans l'histoire des Etats-Unis, comme l'insecte tisse sa toile. Un pas de recul en fin de séance permet de la contempler, maculée de rouge, de débordements violents, de couleurs chaudes et du blanc du manteau neigeux qui entoure l'auberge. Les mouches prises dedans s'y débattent en vain. Le vieux complice, Samuel L. Jackson, impose son aura, son charisme et sa nature changeante, entre hilarité grinçante et absence d'humanité. Kurt Russell, lui, rayonne. Jennifer Jason Leigh arrive à se démarquer sans pour autant que sa prestation de prisonnière dérangée ne vire au one woman show. Le côté taciturne de Michael Madsen ou l'attitude raffinée de Tim Roth font le reste.


Tout cela pour dire que Les 8 Salopards, c'est très bien. Que c'est un délice de se perdre dans cette auberge rouge sang, de partager la table du dîner et la chaleur du foyer avec eux, entre rire et sombres reflets, entre violence et destinées personnelles qui s'entrechoquent. Vous reprendrez bien un peu de café ?


Behind_the_Mask, "ça carillonne à tes esgourdes, morue ?"

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le 6 janv. 2016

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