Les Ailes du désir par Remy Pignatiello
Il est des films qui laisse une impression étrange et durable. A la fois extrêmement triste et plein d'espoir, Les ailes du désir est de ceux là.
A partir d'une trame extrêmement ténue (le film fut dans sa grande majorité improvisé à partir de simples idées), Wenders suit le parcours de 2 anges, Cassiel et Damiel, dans Berlin, dans un mélange de noir et blanc très riche (photo signée du grand Henri Alekan, représentant le point de vue des anges) et de couleurs saturées (représentant le point de vue des mortels). Pouvant écouter les pensées de chacun, ils passent la plupart du temps à noter la spiritualité des gens qu'ils croisent, et à rassurer les gens isolés ou déprimés. Au milieu de ce Berlin ville-personnage encore coupée par le mur, Damiel va croiser une trapéziste qui ne fera qu'entériner son désir indomptable d'humanité.
Ce qui est puissant dans Les ailes du désir, c'est l'universalité des thèmes choisis par Wenders. En 2h de film, il brasse tant l'histoire encore proche et douloureuse de l'Allemagne d'après guerre avec une naïveté assez troublante. Les anges entendent et comprennent tout quelque soit la langue, le noir et blanc se mélange aux couleurs, et les nombreux poèmes récités en voix off nous parlent de découverte de la nature tel un enfant alors que nous sommes au beau milieu d'une Allemagne industrielle.
Mais c'est surtout dans sa poésie aérienne que réside la force du film, notamment lors de sa 1ere heure. Avec sa caméra constamment en mouvement, sa narration déconstruite et ses voix off récitant des poèmes, Wenders réussit à emmagasiner une énergie rare au cinéma, de celle écrasant presque le spectateur de son poids. Que ce soit lorsqu'on suit un vieillard proche de la sénilité sur les traces de Potzdamer Platz, que Bruno Ganz insuffle soudainement l'inspiration à un accidenté en moto (filmé dans un magnifique plan en balancier), ou surtout qu'Otto Sanders ne réussisse pas à empêcher le suicide d'un jeune homme, l'émotion se dégageant du film est parfois à la limite de l'insoutenable, comme l'était 13 ans plus tôt Une femme sous influence.
Car au fond, ce que dit Wenders, c'est que même les anges sont faillibles, et même s'ils sont parmi nous, le salut ne peut venir que de nous mêmes, avec l'amour (facilement, dira-t'on avec justesse) en ligne de mire.
Malheureusement, en continuant sur cette voie au fil du film, le dernier quart du film en devient trop terre-à-terre, un comble quand cela correspond au rêve d'un ange d'avoir enfin un poids, de toucher enfin réellement la terre. Dans ces 30 dernières minutes en couleurs, le film vire alors dans la romance bien trop classique, et perd ce qui faisait son charme et son originalité : le refus du réalisme, malgré un Peter Falk jouant quasiment son propre rôle d'une manière très méta, malgré un cirque nommé d'après le directeur de la photo, tout confinait jusque là à la pure oeuvre d'art.
Libre comme l'air, avec cette naïveté d'enfant si rafraîchissante, mais aussi plein d'une mélancolie abyssale, Les ailes du désir ne pêche alors que par ce soudain ancrage dans une réalité en fait banale et anecdotique, malgré ses couleurs ultra chatoyantes et ses concerts assourdissants de Nick Cave.
Mais rien que pour ses 90 1eres minutes, Les ailes du désir laisse à coup sûr une impression forte, comme seuls les chefs d'oeuvres magiques du cinéma savent le faire.