Les bruits de Recife ou comment une ville reflète une société.

Voici ce que j'appelle une pure expérimentation filmique car le son vient balayer nos sens de façon frappante dans ce premier film Brésilien au titre intriguant de Kleber MENDONçA FILHO : "Les bruits de Recife".
Le réalisateur ne représente non pas seulement une société divisée en deux classes illustrées par des immeubles et des favelas mais appuie bruyamment cette fiction mélée au documentaire et aux comportements incongrus des personnages habitant ce "film choral".
En nous intéressant de Bia, une mère de famille (jouée par Maeve JINKINGS) vivant d'avantage avec ses enfants qu'avec son mari presque absent dans ce long-métrage, l'intérêt de cet oeuvre ressort grâce à ce personnage attachant mais suscite pourtant un malaise chez le spectateur de manière paradoxale. Ici, on est sans arrêt entouré de n'importe quels fonds sonores tel qu'une musique joyeuse occidentale écoutée par la mère finissant perturbée par l'aboiement de son chien. Pour cela, elle décide parfois de l'endormir, en lui donnant un calmant caché comiquement dans son repas ou en le blessant à son tour par un émetteur électrique de bruits stridents et forts qui ne nous fait plus du tout rire.
On répond le bruit par le bruit donc on répond le mal par le mal.
Parfois, on ne le fait pas exprès en acceptant une autoradio de voiture volée, croyant que ce bien est le nôtre. Cette tension ambigue et permanente se joue entre les voisins du quartier dont le marchand pauvre à la radio allumée perturbe le jeune homme riche d'à coté. Du coup, la sensation du danger qui rôde entre les habitations est bien présente, notamment lorsque Bia est agressée par sa propre soeur car cette dernière ne possède pas une si grande télévision que détient l'autre.
En effet, le cinéaste n'hésite pas à confirmer cette lutte des classes et l'insécurité même au sein du groupe familial : une autre télévision montrant de la violence envers les yeux d'une enfant non cachés par les mains d'un parent et une scène courte qui montre un jeune homme entendant les bruits de pas engendrés par les pieds de son grand-père, le plancher manquant à tout moment de s'écrouler à cause de sa présence. Le mouvement similaire est répété subtilement par le plan large de Bia, espionnant un enfant marchant sur le toit d'en face à la manière dramatique d'un James STEWART dans le film "Fenêtre sur cour".
Bia craque à cause de sa routine vécue, elle s'enferme dans une cuisine presque clinique due à l'image froide et très bien composée du chef-opérateur Fabricio TADEU. Cette femme succombe à des désirs susceptibles de briser la famille en fumant par exemple de l'herbe dont la fumée et son odeur disparaît sous l'aspiration d'un objet de consommation ménager. Mais elle est filmée comme si elle aspiraît son âme et sa liberté d'être humain, condamnée à un statut social. Et lorsqu'elle tente maternellement d'approcher ses enfants dans sa propre maison, une étrangère la fait fuir car elle "déconcentre" un peu son fils et sa fille dans leur travail scolaire.
Faut-il comprendre que le lieu en lui-même n'est pas le bien propriétaire de quelqu'un mais un simple endroit implanté et qui, sans cesse, "évoluera" comme les immenses bâtiments vides de cette ville ? Difficile à le croire devant cette mise en scène architecturale aux plans presques oniriques due à la lumière et à une recherche topographique maîtrisée.
Mendonça FILHO veut choquer émotionellement dans ce qui semble de l'ordinaire.
Lorsqu'un homme pose une remarque sécuritaire auprès de sa voisine qui est pieds nus mais risquant de s'électrocuter, celle-ci vole les pantoufles de sa fille qui risque désormais un danger causé par sa propre mère.
Le public retrouve ces petits détails parasites dans notre façon de vivre en société (et aussi dans celle de "vivre" tout court). Quand on retrouve une nouvelle fois, notre autre figure maternelle conduisant une voiture mais écrasant le ballon d'un enfant sous un "Paf" explosif, seul sa fille écoute et se rend compte d'un problème, certes, causé accidentellent mais qui blesse psychologiquement le petit.
Ce thriller dramatique est fort par son impact au réel. Même si ce n'est qu'un "film" et non la réalité, il nous est pourtant impossible de le résumer à cela car il reflète une société en perdition comme tant d'autres dans notre monde.
Enfin, cette ambiance lourde se révèle d'autant plus grâce à son contraste, à une petite note silencieuse d'espoir : une image hors-champ d'une enfant rendant le ballon à un autre. Filmé depuis la fenêtre d'un appartement, nous pouvons y voir un progrès à faire de la part d'une prochaine génération à suivre dans Recife.

BluesEnCamélias
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le 21 nov. 2014

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