Pendant tout le film, je me suis dit que ma note serait de 8. C'est un très très bon film, mais malheureusement rien ne m'échappait, ou du moins j'avais l'impression que ce que Mizoguchi faisait passer était limpide. Pourtant, les quinze dernières minutes changent tout, et si je me référais à mon barème, quand je suis à 9, c'est qu'il y a au moins un petit quelque chose qui m'a échappé. Et comme toute bonne fable, tout conte qui se respecte, il y a une part de mystique, d'évaporation du sens qui s'immisce dans le récit...
Je ne connais pas vraiment la littérature médiévale japonaise. Je me doute, à l'aide de vagues connaissances, qu'il s'agit de contes et de légendes diverses, comme on pouvait en avoir en Europe à la même époque, c'est à dire des fables moralistes. Dans un Japon médiéval, une guerre ravage les petites campagnes, et paysans avec femmes et enfants sont obligés de fuir. Genjuro et Tobei cherchent à devenir riches. Mais cette quête de la richesse semble malsaine chez eux : Tobei veut les gloires du samouraï ; Genjuro veut vivre comme un prince.
Le récit de Tobei est très simple : après avoir volé la tête d'un général qui venait de se faire tuer par un de ses adjoints, il prétend endosser le prestige auprès du général adverse, et devient ainsi haut-gradé, avec un cheval et une armure. Cette gloire lui monte à la tête; si bien qu'il en a délaissé sa femme, qui est forcée à se prostituer. Il la retrouvera dans une maison de joie. La morale est ici limpide : la quête effrénée de la gloire dans un monde où les samouraïs pillent, violent et tuent, ne peut être qu'une maladie, une folie.
Le récit de Genjuro et Miyagi est plus intéressant, car beaucoup moins évident. La morale est évasive : il vivait son bonheur avec la dame Wakasa, entouré de richesses. Cependant, lorsqu'il revient à la raison et veut la quitter, celle-ci devient une sorcière et l'empêche de partir. A son réveil, Genjuro s'apercevra que le manoir est en ruines. C'est à ce moment-là que mon intérêt est tranché : Genjuro a-t-il rêvé ? A-t-il fantasmé cette dame, ce bonheur dans la luxure ? En tout cas, la vie lui permet de faire l'expérience du luxe, pour voir qu'il n'apporte que malheur. Ce luxe l'a aveuglé, lui a fait vivre un rêve qui finalement n'a pas eu lieu.
Sur la forme d'un conte, Mizoguchi raconte, Mizoguchi crée, Mizoguchi tisse cette toile qui finira par dire que la condition modeste d'un potier n'est pas si déshonorante si on conçoit que le bonheur est chose humaine, quand l'argent est chose inhumaine, et vecteur des plus basses immondices. J'ai été proprement enchanté par cet univers, la poésie de ce conte (dont ma palme va à la danse nuptiale de dame Wakasa, pleine de grâce, d'enchantement). Je le recommande vivement.