ATTENTION, SPOILS

Vendu comme un film choc sur "le plus grand serial-killer que l'Australie ait jamais connu", Snowtown est surtout une œuvre qui traite de la relation bourreau/victime à travers ces deux personnages centraux : John Buting, serial killer terrifiant de froideur, et Jamie Vlassakis, jeune adolescent fragile, qui va se retrouver sous l'influence néfaste de ce père de substitution.
Le film commence comme une analyse naturaliste d'un milieu social, celui d'une famille issue de la white trash australienne. Après l'agression sexuelle des trois enfants de la famille, John Buting, nouveau compagnon de la mère, arrive dans cette famille comme un sauveur : charismatique, fort en gueule et aimant auprès des enfants, il va leur rendre justice là où la police n'aura pas levé le petit doigt.
De part cette confiance naturelle qu'il impose, il redonnera une identité à ces gens désoeuvrés qui vivent en vase clos entre ennui, substances illicites, agressions sexuelles et chômage. Mais cette figure de messie glissera petit-à-petit vers un portrait d'homme à la haine sans limites : du redresseur de torts, il s’avèrera en réalité xénophobe, homophobe, manipulateur et violent.

Voir en Snowtown un film de serial killer est une grossière erreur car les enjeux ne sont pas là. Le récit s'attarde sur la relation entre Jamie et John Buting. Bien que le parcours meurtrier de Buting ait fait énormément de victimes dans la réalité, le film repose avant tout sur l'idée que sa principale victime est Jamie. Là où il se découvrait la figure d'un père qui lui manquait tant, il y trouvera le diable.
En prenant à parti de traiter directement de cette relation, un tabou énorme tombe : avant d'être coupable, un tueur n’est-il pas une victime ? Le fait que Kurzell flirte avec cette problématique brûlante rend le portrait de Jamie terriblement humain, et donc encore plus dérangeant. Bien qu’on ne puisse expliquer l’origine du mal car inhérent à chaque individu et son histoire, la question soulevée démystifie complètement le lien de fascination que peut exercer ce genre d’histoires sordides. Un tueur n’a pas été frappé par la foudre du mal par le plus grand des hasards, c’est souvent juste un pauvre type au passé peu enviable (ou une, pour la parité). Alors certains rétorqueront que toutes les victimes ne deviennent pas des assoiffés de sang, et on ne peut qu'abonder en ce sens. Et c’est peut-être un point sur lequel le film titube : il pèche par excès de déterminisme, et oublie la part de hasard et le caractère propre à chaque individu.
Mais en suivant une route déterministe, le duo Grant/Kurzell a pu construire une mécanique absolument terrible qui impose le fatalisme : nous qui sommes tant habitués à voir le héros se battre, ici pas de plan B possible : Jamie ne se rebellera pas et sera autant le martyr que complice d'actes terrifiants. Cela force ainsi le spectateur à accepter une réalité inhabituelle au cinéma : celui d'un héros qui subit les évènements au lieu d'influer sur le cours ces derniers. Le summum de l’inconfort.

L’autre clef de voûte de ce long-métrage se situe aussi dans le traitement de la violence, dont le tour de force est d'être autant suggérée que montrée. Elle prendra d'abord forme par les mots qui suffiront à imaginer la cruauté des actes, que par la concrétisation du meurtre lui-même. La scène la plus représentative de ce moment reste le crime de Troy, demi-frère de Jamie : John Buting forcera Jamie à regarder l'innommable, le laissant d'abord spectateur abasourdi de cet acte odieux (au même titre que nous), et le forçant ensuite à participer au meurtre. Toute la réussite de cette scène réside dans le fait que la violence est d'abord exposée par les bruits avant d'être associée aux images. On a le temps d’imaginer avant de voir, et quel effroi. Difficile de ne pas fuir son écran de télé tant cette séquence montre à quel point un crime est un acte physique : cris, bruits détestables, épuisement, souffle coupé... On est loin de la jolie baston hollywoodienne sans une seule goutte de sang.

Bien que le film se veuille réaliste, Kurzell dépasse très vite son approche naturaliste : la narration, à la chronologie morcelée, n'est pas sans rappeler Gus Van Sant, et son goût pour les cadres presque plastiques a vite fait de déloger le film de son apparence réaliste. Si de nombreuses scènes du quotidien parsèment le film, la sensorialité de la mise en scène est éblouissante : ralentis électrisants à la musique enivrante, plans de nature sublimes qui seront les seuls moments où la couleur et la lumière transparaissent... Une nature qui semble être le dernier rempart à la violence humaine, une dernière échappatoire à l'horreur qui se profile à l'horizon... Et dont nous seront les témoins impuissants.
Avalyn
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Créée

le 19 août 2013

Modifiée

le 20 août 2013

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