Il est toujours particulier de parler d'une oeuvre réalisée par quelqu'un que nous connaissons personnellement (pour anecdote, c'est ma propre mère qui a trouvé le titre du film). Cependant, cela n'empêche pas le fait d'avoir un certain regard sur le long-métrage dont il est question. J'ai découvert ce film lors de son avant-première alors que je venais tout juste d'avoir 14 ans. Etant encore au début de ma cinéphilie, le cinéma belge m'était alors relativement inconnu si ce n'est quelques Frères Dardenne, ou justement, le métrage précédent de Bouli Lanners : Eldorado.
Le récit que nous propose Les Géants est le suivant (je précise que certains points de l'intrigues peuvent se montrer divulgués dans ce qui suit :
"C'est l'été, Zak ( Zacharie Chasseriaud) et Seth (Martin Nissen) se retrouvent seuls et sans argent dans leur maison de campagne. Les deux frères s'attendent encore une fois à passer des vacances de merde. Cette année là, ils rencontrent Danny (Paul Bartel), un autre ado du coin. Ensemble, à un âge où tout est possible, ils vont commencer la grande et périlleuse aventure de leur vie."


Finalement, découvrir Les Géants au début de notre adolescence permet l'identification immédiate aux personnages et donc une plus grande implication dans le récit proposé. Lanners nous plonge dans une oeuvre rappelant fortement des films comme le Stand By Me (1986) de Rob Reiner. Dans les deux cas, nous suivront un groupe de jeunes adolescents perdus partant en découverte du monde et d'eux-mêmes, ils vivent dans chaque cas une sorte d'initiation à la vie, un passage à l'âge adulte quelque part. Cependant, Reiner (en oubliant les 25 ans séparant les deux oeuvres) propose logiquement un environnement et un univers beaucoup plus ancré dans l'imaginaire américain, l'histoire se situant dans le Maine. De son côté, Lanners propose de découvrir le même type de récit mais à travers les campagnes ardennaises typiques de la Belgique. Cela nous pousse forcément à une meilleure compréhension et appartenance à l'univers présenté pour nous spectateurs belges.


Le cinéaste belge traite le voyage de ses trois protagonistes comme un voyage initiatique sous la forme d'un conte contemporain. Les parents sont absents et laissent les enfants seuls à leur propre compte (on y reprend le concept des orphelins perdus en forêt se retrouvant confronté à une sorcière et un ogre d'une certaine façon). Les jeunes adolescents agissent alors d'actes comme le vol pour mener à bien leur périple à la manière de leur entourage semblant vivre dans l'illégalité et, par certains aspects, à travers une certaine violence physique et sociale. Nous pourrions prendre pour exemple le personnage de Angel, interprété à la perfection par Karim Leklou (Le Monde est à toi,...), représentant la figure de l'ogre et étant l'élément le plus destructeur de l'environnement des protagonistes. Là où ces jeunes gens représentent une certaine beauté et une jeunesse en recherche de libération de soi, les personnes environnantes (pour la plupart) sont physiquement et mentalement "laides". L'acteur Didier Toupy, comédien fétiche de Lanners auquel le cinéaste dédiera son dernier film, y offre probablement l'une des figures les plus volontairement hideuse du métrage. Le titre du film annonce un conte parlant d'enfants contre l'adulte monstrueux à l'image d'Hansel et Gretel ou du Petit Poucet .


Les Géants se veut sincère dans ce qu'il montre. Le long-métrage comporte un côté certes dépressif, mais n'en garde pas moins ses instants d'espoirs, de bonheurs et de rires. La séquence où ces trois adolescents se réveillent les cheveux blonds porte même à la comédie. Le personnage de Zak (probablement le plus touchant du film car il n'est pas exactement au même niveau de compréhension du monde que Seth et Danny) accepte finalement la démission maternelle et renie sa maman. Il voit cependant la lueur au bout du tunnel avec le personnage de Martha Keller qui sera une mère de substitution temporaire. De même, ces passages en barques semblent des instants de calmes et de sérénité dans un monde si dur pour ces trois protagonistes (passages superbement menés d'ailleurs par les compositions du musicien flamand The Bony King of Nowhere).


Mené par des acteurs impeccables (il me semble que l'interprète de Zak avait d'ailleurs reçu un prix à l'époque), le long-métrage transperce le spectateur pour lui faire vivre de multiples émotions au cours du parcours auquel il assiste. Le trio d'adolescents fait l'une des grandes forces du métrage, que cela soit dans leur amitié ou dans leur quête d'émancipation et de liberté. Le cinéaste travaille ses plans et construit parfois de véritables tableaux (la scène du champ de maïs en est un bon exemple). Il s'agit du métrage ayant réellement propulsé Lanners comme une figure importante du cinéma en Belgique et nous comprenons vite pourquoi. Ce film offre finalement une grande réussite dans le paysage cinématographique belge. Sans être spécialement innovante, l'oeuvre filmique de Bouli Lanners nous offre un récit jonglant entre les genres et réussissant à trouver le juste parti pour créer son propre univers semblant parfois miroir du nôtre.

Vladimir_Delmotte
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Créée

le 13 avr. 2020

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