Précisons avant toute chose que cette critique sera 100% spoilers vous voilà dés à présent prévenu.

Doctor Sleep réalisé par Mike Flanagan est un projet pouvant offrir autant de fascination que de crainte. Se targuer d'adapter au Cinéma le livre éponyme de Stephen King sorti en 2013 et faisant suite à son roman Shining : L'enfant Lumière avait de quoi intriguer.

Pour bien comprendre ce qui selon moi symbolise le ratage du long-métrage, il va falloir parler des 2 oeuvres littéraires d'origine ainsi que du Shining de Stanley Kubrick sorti en 1980.


Il est de notoriété public que Stephen King n'a jamais beaucoup apprécié l'adaptation cinématographique de Shining, le citant comme un très bon film, mais l'absence de certaines thématiques centrales du roman l'auront finalement dégoûté du long-métrage. Cela peut se comprendre car les deux oeuvres offrent deux visions relativement différente d'une même histoire.

Ce constat pourrait sembler anecdotique et pourtant il n'en est rien. Celui-ci est à la base même de l'écriture du roman Doctor Sleep paru 36 ans plus tard. King a longtemps parlé du possible retour du personnage de DannyTorrance dans ses romans (trouvant qu'il s'agissait de l'un de ses protagonistes n'ayant pas eu de vraie conclusion à son histoire selon ses propres dires). Je pense qu'il est surtout intéressant de lire le préface du roman ou l'auteur évoque le film de Kubrick et son rejet pour celui-ci malgré l'avis général quasiment unanimement positif. On ne peut s'empêcher de constater à travers cette oeuvre littéraire la volonté de faire continuer l'histoire du roman de 1977 en faisant abstraction complète du film malgré son implantation plus que confirmée dans la culture populaire. De fait, très vite nous retrouvons dans Doctor Sleep des thématiques propres au livre original, comme par exemple l'alcoolisme et la dégradation relationnelle qui en découle. Il s'agissait du but premier de l'auteur à la toute base de son histoire écrite des années plus tôt : parler de la lente destruction de la relation entre un père et son fils (thème il est vrai relativement absent dans le film de 1980). Nous retrouverons dans le roman Doctor Sleep un Danny Torrance devenu adulte et en proie aux mêmes démons que son père. Cette histoire va alors nous parler d'une rédemption (thème centrale de ce livre selon moi) d'un personnage après avoir connu la chute, mais aussi de ses traumatismes et de sa culpabilité. Cela a du sens si nous l'assimilons (comme le veux l'auteur) dans la continuité des événements narrés dans le livre de 1977. Le scénario reste cependant bien moins fin et maîtrisé sur la longueur que la première "aventure" du protagoniste. Les antagonistes - les démons vides - sortes de vampires, sont intéressant et servent en réalité à donner de nouvelles propriétés au "don" (le shining) que possèdent certaines personnes. Il en va de même pour les nouveaux personnages rencontré, comme par exemple la jeune Abra qui va démontrer que chaque "don" est différent.
Cependant, malgré que cet oeuvre littéraire soit de bonne qualité et ne fasse pas honte à son prédécesseur, il reste que cette histoire est parfois bien trop éloignée du matériau de base. Le est roman fonctionnel, mais contenant des défauts visibles tout en souffrant au final d'une relative inutilité.


Cette introduction peut sembler longue, mais celle-ci est nécessaire pour clarifier la suite des événements. Doctor Sleep débarque donc au cinéma en fin d'année 2019 réalisé par Mike Flanagan, réalisateur talantueux à qui l'ont doit la sympathique série The Hautning of Hill House (adapté de Shirley Jackson) ainsi que Jessie (film produit par Netflix également adapté des écrits de King). S'il fallait résumer grossièrement mon avis sur le long-métrage je dirai que sa majorité n'est en soit pas fondamentalement mauvaise mais tout juste divertissante (ce qui n'est pas exactement le constat que l'on aurait envie d'entendre en parlant d'une suite au chef d'oeuvre de Kubrick). Le tout reste relativement passable jusqu'à l'arrivée des 45 dernières minutes, mais nous y reviendrons.


Certains élements fonctionnent plutôt bien dans le métrage. La photographie est assez bonne et peu difficilement être prise en défaut, elle apporte ce qu'il faut à l'image et offre quelques plans d'une grande beauté.
Les acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes et semblent y croire. Le charisme naturel d'Ewan McGregor fonctionne sans toutefois percer l'écran, mais c'est plutôt dans les seconds couteaux que certains comédiens.ennes sortent du lot. Je pense notamment à Rebbeca Ferguson en Rose Claque qui est tout simplement l'argument du film selon moi. L'actrice semble extrêmement impliquée dans son personnage. Ses techniques de jeux sont clairement identifiables et marchent.
Plus de casseroles sont à signaler concernant le jeu de la jeune actrice incarnant Abra, mais à mon sens il s'agit surtout d'un soucis d'écriture majeur sur son personnage s'amplifiant de plus en plus au fur et à mesure de l'avancement du récit.
L'actrice remplaçant Shelley Duval (interprête de Wendy dans le film de Kubrick) retranscrit à la perfection le personnage et ce même sur les 40 secondes de temps d'écran.

Enfin, certaines scéquences marchent plutôt bien et offrent de vraies bonnes idées de mise en scène. Si je devais en retenir quelques unes il s'agirait de celles-ci :
- La séquence de prologue mettant un Dany jeune à nouveau face au fantôme de la vieille dame. La menace est palpable et met le spectateur mal à l'aise.
- La mort tragique du jeune joueur de baseball assassiné par le clan de Rose.
- Certaines idées de plan en hommage à Kubrick (notons cette séquence reprenant la montée des marches dans le hall de l'Overlook qui reprend la scène du film de 1980 tout en y inversant les rôles).

Si vous faites partie des lecteur du roman Doctor Sleep, vous ne devriez pas être fondamentalement surpris avant la fin du métrage. Le scénario reprend en effet assez fidèlement les écrits de King. Certains personnages auront droit à un destin différent que dans le livre ce qui est très appréciable dans une adaptation de ce genre.
Cependant, si le long-métrage reprend la même histoire en surface, il ne cherche pas à aller plus loin. Nous évoquions en début de critique les raisons justifiant que l'histoire de Doctor Sleep (le livre) se déroule après le roman de 1977. Le problème c'est qu'en voulant en faire paradoxalement la suite du film de Stanley Kubrick et bien beaucoup de thématiques semble tout bonnement survolées et finalement rien ne justifie vraiment cette longue séquence finale dans l'hôtel. Nous ne sommes pas vraiment confronté à l'alcoolisme de Danny Torrance à part dans une petite scène d'introduction, rien ne semble vraiment le justifier si ce n'est l'hérédité. Le problème intervint lors de la séquence où notre protagoniste fête ses 8 ans de sobriété. Il décide de porter un toast à Jack Torrance, son père, car il aurait aimé se trouver là ou son fils se trouve aujourd'hui. Le film de Kubrick ne parle pas de l'alcoolisme de Jack (il ne fait que sous entendre), ce n'est pas le but premier du tout. C'est ici que le film semble s'enlisser sur de nombreux détails concernant cette thématique pourtant centrales.

En terme de rythme, le long-métrage montre vite de grosses faiblesses. Cela est d'autant plus visible si on a lu le livre bien tendu, mais il est important d'en parler. Le début du film est lent mais juste et fonctionne même relativement bien. Le réalisateur prend son temps pour nous présenter les personnages, les construisant chacun indépendemment des autres pour mieux les confronter ensuite. C'est finalement vers la moitié du métrage que tout semblera se dérouler de plus en plus vite. Passé la moitié, le rythme semble laisser totalement la construction de personnage de côté pour faire avancer le scénario à toute allure. Les différents protagonistes/antagonistes semblent alors devoir courir pour rattraper le récit. Le problème se fait principalement ressentir à partir de la rencontre entre Danny et le père d'Abra. Dés cet instant les péripéties vont s'enchaîner pour les besoins du scénario, mais sans pour autant chercher à trouver un sens précis à tout cela. Les personnages prennent quelques instants à accepter la situation car le long-métrage ne veut plus prendre le temps de se poser et respirer, le tout offrant un ensemble presque étouffant d'informations. Cela va prendre encore plus d'ampleur après la scène de l'embuscade dans les bois (la preuve que le scénario fonce à toute vitesse est montrée également ici de par le fait que cette scène intervint après un brusque cut pour éviter d'avoir à expliquer quoi que ce soit). Une fois l'attaque terminée, Abra et Dany s'en vont vers l'Overlook sous prétexte que le lieu posséde des éléments psychiques dangereux pour les porteur du Shining. Selon la théorie de Dan, si cela peut l'affecter lui et la jeune fille, cela devrait également toucher Rose Claque, l'antagoniste.
La vérité étant en fait que c'est finalement Mike Flanagan qui veut nous emporter vers cet endroit, pas Danny. Tout ça pour offrir ce qui sera à mon sens la longue séquence détruisant le long-métrage. Le réalisateur va à partir d'ici uniquement jouer la carte du fan service populaire en piant le film de 1980. Rien n'oblige nos protagonistes à partir vers l'Overlook. Certe ils y retournent dans le roman de 2013, mais le lieu n'existe plus (à la fin du livre de 1977 l'hôtel est détruit suite à l'explosion de sa chaudière) et il s'agit d'un habile jeu de combat mental entre Rose et les protagonistes. Même si ce passage était relativement oubliable dans le roman il avait au moins le mérite de proposer une certaine logique et de ne pas trop jouer la carte du fan service facile. Ici, Flanagan s'y engouffre et est bien décidé à ne plus en sortir.

Nous voilà donc arrivé à ce qui sera pour moi la synthèse de l'échec du long-métrage. Cette dernière séquence (de tout de même 30 minutes) dans l'Overlook représente bien l'incompréhension absolue de l'oeuvre original ainsi que du film de Stanley Kubrick.
Tout d'abord nous constaterons qu'en terme purement narratif, le personnage de Rose est éclipsée en quelques minutes via un "Deus Ex Machina" pompeux. Cela aura de plus pour effet de détruire toute la menace que représentait le personnage de Rebecca Ferguson tant son arc de personnage se clot en quelques secondes à peine après sa rencontre avec Danny et Abra (rencontre pourtant teasée depuis le début du film). La menace qu'elle représentait semble alors bien incolore de même que le problème général que représente les démons vides. Le réalisateur expédie subitement l'élément perturbateur de son récit pour s'offrir son hommage à Kubrick.
Difficile d'exprimer mon mépris pour ce qui suit tant tout me semble fondamentalement à côté de la plaque. Plusieurs éléments sembles à côtés de la plaque :
- Les fantômes de l'Hôtel utilisé comme "Deus Ex Machina" et n'ayant aucun autre but.
- La refonte d'anciens plans du film de 1980, techniquement réussi mais nayant aucun sens. Autant l'actrice remplaçant Shelley Duvall fonctionne autant l'acteur remplaçant l'iconique Jack Nicholson (le terme "iconique" est important ici tant faire jouer le Jack Torrance du film de Kubrick par un autre acteur en 2019 n'est que pure folie).
- Le "Dark Danny" dont je ne comprend toujours pas la signification si ce n'est jouer à l'hommage plus que raté.

Le problème est qu'ici tout n'est conçu que pour faire référence au long-métrage de Kubrick (nous pouvions avoir un doute jusqu'à ce moment mais il devient à présent évident que le film s'assume pleinement comme la suite du chef d'oeuvre de 1980). Le soucis c'est que ce n'est pas en imitant/copiant ses plans que l'on transformera la pellicule en légende cinématographique. Il faut être suicidaire pour mettre en scène une suite au chef d'oeuvre de Kubrick. La tristesse et le ratage est d'autant plus grand que le produit final est d'un basique. Singer un auteur comme Kubrick est sans aucune doute la plus grosse erreur de ce long-métrage selon moi, le point qui entraine sa chute définitive.
Entendons-nous bien, le film est tout à fait regardable et peut s'avérer divertissant par moment. Mais ça ne suffit pas pour moi à justifier la réussite d'une oeuvre quelle qu'elle soit. Faire une suite à une oeuvre aussi iconique pour la transformer en un film conçu comme un blockbuster populaire américain basique débordant de fan service baclé et destiné pour le plus grand nombre à de quoi dégouter du métrag. Doctor Sleep ne contient finalement quasiment aucune symbolique visible à moins d'avoir lu le livre, il n'atteint jamais le niveau des écrits de King et encore moins du génie visionnaire de Stanley Kubrick.
L'histoire de L'Overlook se conclu alors de façon à faire plaisir aux fans du livre de 1977 et surtout à Stephen King lui-même. Mike Flanagan décide en effet de détruire l'hôtel de la même façon que dans Shining : L'enfant Lumière. En guise d'épilogue, Danny est présumé mort et Abra s'en sort indemne. Cette dernière se retrouve alors chez elle face au fantôme de la vieille dame nue qu'elle va détruire comme le jeune Torrance l'aurait fait enfant. Ceci n'a absolument aucun sens étant donné que Abra n'a pas de raison d'être "hantée" par cet esprit, jouant encore une fois sur le fan service facile, mais vide de sens.

L'idée d'offrir une oeuvre se voulant à la fois comme une adaptation du roman de 2013 et comme une suite au film Shining à de quoi être intéressante, mais dans les faits rien n'a visiblement dépassé le concept de base. Je n'attendais rien du film et il a réussi à me décevoir énormément malgré tout. Etrangement pour moi, la plupart des critiques se sont avérées plutôt positives. Il nous a été donné ici un produit offrant au public exactement ce qu'il voulait (ce qui est rarement une bonne idée), à savoir un pure produit conçu pour le plus grand nombre. A mon sens, beaucoup d'oeuvres perdent de leur superbe en entrant dans le domaine de la culture populaire, Shining (en livre comme en film) en fait partie. Je prend l'exemple de Stephen King car nous avons eu le cas avec les 2 films IT que j'ai également profondément détesté (pour des raisons similaires tout comme différentes).

Les écrits de l'auteur font à présent malheureusement partie d'une machine uniquement destinée à carresser le public dans le sens du poil. Avec les futurs adaptations cinématographiques annoncées de Stephen King...il n y'a vraiment pas de quoi être rassuré.


Merci de m'avoir lu, en espérant qu'à l'avenir le petit Dany pourra retrouver le bon chemin dans les couloirs de l'Overlook...

Vladimir_Delmotte
3

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes La nuit au cinéma (depuis 2015), Stephen King : Du livre au CINEMA et LE FLOP 2019

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le 24 mai 2022

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