Avec Les Héritiers sort ce mercredi 3 décembre un film inspiré d’une histoire vraie, celle de lycéens de banlieue dont la vie va prendre sens face aux horreurs du passé. Sentimentaliste ? L’affaire est plus complexe que cela.
Lorsque l’on conçoit le film de lycée en France, une référence s’impose, récente, primée et forcément présente dans l’inconscient. Entre les murs de Laurent Cantet s’attaquait déjà, dans Paris intra-muros, aux classes difficiles et à la jeunesse fougueuse, parfois violente, parfois clairvoyante. Nous sommes alors en 2008, le film remporte la palme d’or des mains de Sean Penn à Cannes et le genre semble se figer.
Marie‐Castille Mention‐Schaar n’a pas seulement repris ce flambeau. Elle est allée puiser directement là où l’étincelle est née pour son film. Elle écrit Les Héritiers avec Ahmed Dramé, jeune scénariste et acteur de 21 ans ayant lui-même vécu l’histoire portée sur grand écran. Celle d’une classe de seconde de Créteil, vouée à l’échec et à la stigmatisation sociale et scolaire. Dramé revisite donc sa jeunesse, bien aidé par le recul que les années offrent, fort d’une première expérience cinématographique dans Les Petits Princes en 2013.
MÊME LES CENDRES SONT FERTILES
Épineux et questionnant. Voici comme s’ouvre Les Héritiers. Une jeune musulmane se voit refuser l’obtention de son diplôme du fait qu’elle porte un voile à l’intérieur de l’établissement, alors qu’elle en a fini avec sa scolarité dans l’établissement du lycée Léon Blum de Créteil. Un dialogue de sourd entre citoyen, pratiquant, enseignant et directorat qui résonne. Tant pis si certaines répliques sont forcées. En choisissant une scène si évocatrice, Marie‐Castille Mention‐Schaar annonce la couleur. Ou les couleurs, devrait-on dire, puisque le cosmopolitisme et le multi-culturalisme sont de rigueur dans cette banlieue où tout se mélange, pour le meilleur comme pour le pire.
Religion et société, tolérance et différences, voici les quatre pierres angulaires autour desquelles étudiants et professeurs gravitent. Des pseudo-révolutions qui ne tournent pas en rond, entre injures de sourds et dialogues gratuits, où chacun est incompris. Une demi-heure propice à l’intériorisation d’un terreau plus boueux que fertile de prime abord, mais qui se révèle un excellent terrain d’expérimentation. Après tout, même les cendres sont fertiles. Eux, les abandonnés, les déchus, eux qui ne croient plus en eux puisqu’on leur martèle leur supposée ignorance, prennent part dans une entreprise qui semble les dépasser. Ils vont devoir faire unité pour participer au concours national de la Résistance et de la Déportation, sur un sujet des plus sensibles : « Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi ».
DES PITRES AUX PUPITRES
Les Héritiers, c’est l’histoire d’un casting particulier. Une classe formée par une moitié d’acteurs et une autre moitié d’anciens élèves ayant participé à cette formidable aventure. Deux entités qui se confondent aisément. Surtout, qui donnent aux jeunes des propos et des attitudes de jeunes, une valeur loin d’être acquise dans un cinéma français qui a la fâcheuse tendance à rendre les enfants et les adolescents bien plus matures et pompeux qu’ils ne le sont. Le jeu de chacun se fond dans un collectif uni, soudé et intimement ambivalent, à l’instar de ce que fut réellement la classe de seconde. Il n’est toutefois pas aisé de choisir à qui donner la focale lorsqu’une vingtaine d’égos veulent tous coexister en un seul instant.
On ne peut que donner du crédit à Marie‐Castille Mention‐Schaar qui a su transposer l’ambiance de la classe avec tant de justesse, armée de trois caméras, du choix d’un tournage chronologique presque naturel et d’un montage minutieux. Évidemment, Malik, l’alter ego d’Ahmed Dramé, sert de leader inconscient et incarne la lente éclosion d’une chenille qui devient, à renforts de confrontations avec la barbarie des camps, de mises en parralèle et de rapprochements intimes, un papillon fragile mais émouvant. Le tout est surveillé par la ferme mais bienveillante Ariane Ascaride, dont le rôle d’Anne Guéguen, professeur principal de la classe, sied à merveille à l’égérie de Robert Guédiguian.
Pourtant, si les individus et leur environnement sont convaincants, Les Héritiers manque parfois de subtilité lorsqu’il tire les ficelles de son scénario. Si la classe avance comme une masse concrète et crédible, le film se laisse ponctuellement déborder par les sujets qu’il aborde. L’union et la désunion religieuse, les préjugés raciaux et sociaux sont parfois expédiés via des scènes sans réelle continuité avec un fil rouge narratif qui aurait pourtant amplement suffi. Prisonnier de la fameuse « histoire vraie », Les Héritiers bascule dans le hors-sujet dès lors qu’il verse un peu trop dans la fiction. Des situations écrites qui se ressentent dès lors que les dialogues se font poussifs et les interprétations forcées. Autant de sautes de concentration qui pénalisent le travail de Dramé, dès lors que son regard se perd hors de sa classe.
Les Héritiers Ariane Ascaride
SIMPLICITÉ ET FACILITÉS
Les Héritiers est un film indéniablement honnête et sincère. La contribution d’un ancien élève, Ahmed Dramé, en est pour beaucoup. D’un thème éminemment délicat, Marie-Castille Mention-Schaar réussit un bel équilibre entre banlieue, religion, éducation et jeunesse fougueuse. Une bonne idée que d’avoir laissé à Dramé les mains libres pour les dialogues et pour une grande partie du scénario, beaucoup trop de films traitant de la jeunesse (notamment suburbaine) étant plombés par des répliques mal adaptées.
Heureusement, la majorité des situations se suffisent à elles-mêmes, notamment l’intervention intemporelle de Léon Zyguel, poignante. Toutefois, Les Héritiers est de temps à autres alourdi par une tendance à surligner le mélodrame de manière superficielle, le propos servant déjà assez le pathos. Certains personnages ou situations semblent polémiques sans réelle justification autre que la création de conflits ou de nœuds dramatiques. Dans l’ensemble toutefois, Les Héritiers reste un bon film, excellent dans son interprétation et sa mise en scène, doué d’un potentiel empathique indéniable, qui aurait toutefois mérité d’éviter quelques écarts de sentimentalisme superflus.
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