Il est communément admis, et imaginé, que Winston Churchill est un homme d'une force incroyable, héros de la Seconde Guerre Mondial, homme combatif et flamboyant, l'un des fondateurs de notre époque. La réalité est paradoxalement plus complexe : à la fois plus pathétique et en même temps pas si éloigné du mythe. Le film Les Heures sombres de Joe Wright retrace un moment très particulier de l'histoire de l'homme, entre le début de la Blietzkrieg et le départ officiel de la résistance anglaise après l'Opération Dynamo (le rapatriement des troupes anglaises de Dunkerque). Entre les atermoiements du Royaume-Uni entre pacifisme et guerre, entre la volonté de destituer le nouveau Premier Ministre et la volonté d'une union nationale, le film montre les différentes étapes du processus de guerre tout en dessinant un tableau de l'homme Winston Churchill. Malgré quelques longueurs, le film a de nombreuses qualités dont la plus grande est l'exposé historique, bien que parfois cela ne se résume qu'à cela. Le film est assez classique dans sa réalisation, et il est vrai que le jeu de Gary Oldman est remarquable, même si cela est plus dû au déguisement qu'au jeu en lui-même.
Sur le fond, le spectateur découvre un homme médiocre, alcoolique, aristocrate, prenant le petit déjeuner au lit amené par ses serviteurs, à peine capable de faire cuire un œuf, incapable de prendre le métro sans l'aide de quelqu'un et aux élans colériques, insultant d'incapables toute personne qui le contrarie. Parfois touchant, l'homme se révèle être dans son passé un opportuniste politique passant des Libéraux aux Conservateurs, détesté de son camp, ancien Ministre des Finances sans scrupules anti-bolchevique avec une haine des syndicats chevillé au corps, le tout doublé d'une incompétence notoire. Ses exploits militaires ne sont guère réjouissants malgré sa clairvoyance face aux ambitions allemandes, il a été catastrophique dans absolument toutes ces batailles : dans les Dardanelles, en Afrique du Sud, etc ... En fait, Winston Churchill est un aristocrate raté et pitoyable, aux ambitions politiques énormes et aux compétences plus que limitées. Pourquoi alors est-il devenu l'Homme qu'il est devenu ? En effet, souvent, le spectateur hésite à propos de Churchill entre la catastrophe ou le génie. Historiquement, on le sait, Hitler rêvait d'une alliance avec le Royaume-Uni pour former une alliance entre une puissance maritime et une puissance continentale contre la France, d'autant plus qu'il considérait la race saxonne comme une des trois races supérieures (aryenne, flamande, anglaise). Edward VIII, avant de procéder à son abdication pour son frère George VI, était un sympathisant nazi, ainsi que de nombreux aristocrates anglais. La société anglaise, traumatisée par la Première Guerre Mondiale, est également obsédée comme aux Etats-Unis par le pacifisme, ce qui expliquera l'inanité de Neville Chamberlain, la volonté des conservateurs de nommer Halifax car pacifiste, et la détestation du Roi pour Churchill, qui hésitera même à aller régner au Canada. Churchill, dans cette société anglaise, malgré sa médiocrité, va réussir à soulever sa Nation contre la Barbarie allemande, même si le spectateur se demande parfois s'il a quelque chose dans la tête, ou même quelque humanité pour les hommes qu'il envoie la mort. Churchill restera dans nos esprits comme un imbécile à qui l'on aurait donné un flingue, un Don Quichotte victorieux, aux discours vindicatifs et superficiels, et qui dans sa folie, aura atteint une forme de belle clairvoyance.