On ne s’attend pas forcément à ce genre de films lorsqu’on s’apprête à regarder un Frank Capra. On est tellement habitué à son premier degré et ses personnages moralisateurs que les thèmes abordés ici sont d’autant plus rafraîchissants. Certes, on reste dans le cadre de la recherche idéaliste qui le passionne tant mais cette fois-ci la teneur du doute est prise plus au sérieux.
Malgré le fait que les dialogues aient une place prépondérante, chaque image reste très impressionnante, que nous soyons au cœur de la révolution chinoise ou bien coincés dans les neiges de l’Himalaya. Les passages dans les montagnes enneigées sont particulièrement majestueux, d’autant qu’ils constituent les points névralgiques dans l’écriture des personnages. Car ces dangereuses randonnées nous ramènent au réel par trois fois, nous délivrant de la torpeur créée par ce jardin d’éden qu’est Shangri-La.
Il est assez étonnant de se sentir soi-même profondément touché par ce paradis et sa genèse. Les lieux construits pour représenter cette vallée sont finalement peu nombreux mais la nostalgie des dialogues et leur grande force évocatrice vient combler notre imagination. Une belle harmonie est entretenue entre le texte et les images idylliques qui nous sont présentées. Au carrefour entre l’émotion et l’esprit. Et c’est alors que l’on finit par faire parfaitement corps avec le personnage de Robert pour partager ses pensées et ses doutes. Le monde extérieur nous paraît repoussant, mais les émois manifestés par les personnages féminins nous rappellent que c’est un lieu où l’isolement est inévitable. Que choisir ? La liberté ou la sécurité ? La solitude ou bien la multitude ? L’éternité ou le présent ? Cette opposition nous investit complètement, tout en restant finalement de l’ordre du débat intérieur jusqu’au dernier plan du film.
Il est aussi plaisant de se laisser aller à des interprétations secondaires. Peut-être tous ces personnages sont-ils morts lors du crash de l’avion et Shangri-La est tout simplement le paradis. Maria n’est non pas la survivante du voyage qu’elle a réalisé avec ses parents, mais la seule victime. La tirade qui est donnée par Chang (« il reviendra ») lors du départ de Robert fait résonner cette impression d’un lieu en réalité totalement divin et métaphorique. On se souvient également de Robert s’endormant peu avant le crash et disant qu’on le réveille une fois au bout du chemin. Cette digression rajoute une couche mystique peut-être involontaire mais profondément ravissante.
A la différence de Shangri-La, tout n’est pas parfait dans Horizons Perdus. On peut regretter le positionnement des personnages secondaires. Ils sont trop souvent utilisés comme éléments de décor ou d’humour alors que leurs problématiques méritent toutes d’être explorées. L’angoisse vécue par le frère de Robert ainsi que Maria est très intéressante et aurait mérité d’être traitée plus en profondeur. Il en va de même pour la guérison de la jeune femme blonde et les mauvais pressentiments du paléontologue.
Reste une œuvre tout à fait bien construite dans son imagerie avec des plans souvent inspirants. On retiendra tout particulièrement la plongée onirique sur la vaste vallée de la Lune Bleue, alors que le grand Lama du plat pays nous ouvre son cœur.