Pour être moi-même un habitant du 93 depuis déjà 29 ans, mais du 93 soft je le concède, ce film m'a particulièrement attiré même si la bande-annonce faisait plutôt penser à un film d'action à la Brick Mansions. Avec mon pote du même lieu, on s'amusait souvent à prendre le RER E pour découvrir des lieux du genre le Chenay Gagny ou autre et c'est vrai que certains endroits étaient assez saisissants. Pour autant, je n'ai jamais eu l'expérience des cités, si ce n'est à me faire refouler par des "gardiens" improvisés d'un secteur des Courtilières.


Une fois que le film commence ceci dit, on comprend vite qu'on est plutôt en face d'un film "peinture" coup de poing avec tous les écueils potentiels que cela implique. En effet, le cinéaste reprend ici le thème des Misérables (ça ne saute pas aux yeux mais un peu en grattant, outre la citation de fin assez explicite) avec les flics d'un côté et les habitants de l'autre. De deux côtes, vraiment ? Rien n'est moins sûr. En effet, ici le film décrit plutôt une sorte de micro-société régie par des petits accords locaux visant tant bien que mal à faire tenir un équilibre précaire en sus de servir des intérêts propres. Ici donc, tous les personnages sont dans un sens des "misérables" et le film le traduit par une certain isolement des personnages même quand ils retournent chez eux à Paris. Leur famille, les autres villes, même autres parties de la ville, sont vues tout au plus sous forme de flou : l'endroit où ils sont, c'est une sorte de monde à part, que la société a déserté. En fait, Paris n'existe que dans ce moment fugace représenté au début du film : dans la parodie d'union sportive.


Délaissé ce quartier ? Pourtant la police y est. Mais à y regarder bien clair cette police évolue presque en roue libre, briefée rapidement par un officier conscient des réalités de terrain.


Dans cet espèce de désert urbain, les protagonistes évoluent dans un climat hallucinant et anxiogène, à tel point qu'on se demande comme ils font pour le supporter. Le point positif, c'est qu'ici le film est peu dans la victimisation traditionnelle des associations de parisiens qui n'ont peut-être jamais mis les pieds dans ces quartiers et cherche plutôt à montrer comment tout ce beau monde vit. Point de sauvages, point d'intrigue très impressionnante, juste un policier qui dérape au flashball sans que l'on sache vraiment s'il l'a fait exprès ou s'il a vraiment pété un câble. Peu importe, on comprend qu'ici le manque de structure et une sorte de haine des vrais "misérables" du film au sens des incompris sont les enfants, enfants dont la haine grandit à force d'humiliations et d'abandon.


Comme dans Piranhas, les enfants vont finir par prendre le pouvoir dans un final sanglant, rappelant un thème dans l'air du temps qui est la désacralisation de l'enfant qui est vu tel qu'il est vraiment : un être humain pas encore tout à fait imprégné par la société et donc le plus facile à pousser dans ses pulsions animales. L'épisode de Daech est passé par là pour cette prise de conscience, car oui la "gentillesse" et la non violence sont un pacte social et non un comportement de naissance même si ceci se transmet en partie dans les gènes très probablement (comme dans celui d'autres animaux "socialisés"). Cette peinture ici ne vise pas à pointer du doigt les enfants mais à avertir sur les graines de violence que font naître ces déserts.


Bien sûr, le film est romancé, exagéré, baroque. En vrai, la situation est quand même beaucoup plus "normale" mais je pense que cette forme a l'intérêt de raffiner le propos par l'inconscient qu'il suscite. Comme dans les Misérables, le "vrai", l'épique est au service du cri d'alarme et des idées.


Pour autant, tout n'est pas forcément tout rose dans ce film.
Déjà, le film est quand même assez partisan et la caricature du flic avec son T-shirt de kéké Venum et ses blagues en mousse étaient dispensables bien qu'apportant un cachet plus percutant au film. De même, je trouve la peinture des "caïds" du quartier bien idyllique. Bien sûr, une caricature inverse aurait été regrettable, mais bon le grand sage dans son kébab ça ne le fait pas trop même si encore une fois son personnage apporte malgré tout une certaine mystique au film.
D'ailleurs, une lueur d'espoir naît de son échange avec le policier, lueur effacée par la terrible fin qui illustre la citation finale : les actes, la violence créent une anxiété qui alimente encore la violence et sème les graines de la haine dans un monde où le dialogue est rompu (entre les adultes, non, avec les enfants, oui).


Un film intéressant donc, à mi-chemin entre une volonté de faire remonter la peinture des quartiers et une fable universelle sur le fait que la civilité s'acquiert et ne se crée par à la naissance. Un film qui mérite de pousse rune réflexion, notamment sur le fait de s'appuyer sur les "autorités" locales (même si elles ne sont pas officielles) pour restaurer le dialogue plutôt que d'abandonner tout ce beau monde qui s'étouffe et brûle de l'intérieur.

Foulcher
8
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le 19 nov. 2019

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