En allongeant le bras, tenant la télécommande-excroissance, pour mettre l'écran de télé en veille, Ludo soupirait en pensant qu'au moins, il avait évité cela. C'était l'un des seuls avantages à son accident de scooter. Cassé, traumatisé, chaque geste douloureux, ses amis étaient venus à son chevet dès qu'ils ont su. Inquiétude, visages graves, ils ont défilé dans sa chambre pour lui prendre la main et dire que cela irait mieux. Certains ont même versé une larme plus ou moins hypocrite.
Mais son état n'allait cependant pas les empêcher de partir en vacances, ses amis par la main gauche. Faut pas rêver quand même... Whhooo l'aut'... Tout juste ont-ils consenti à partir quinze jours au lieu des trois semaines habituelles. Ludo s'est dit qu'il n'avait rien raté, surtout si leur réunion estivale ressemblait à ce qu'il venait de voir ce soir sur W9. Heureusement que sa mutuelle lui permettait de se payer une chambre individuelle, après tout, ses cotisations étaient assez élevées pour cela. Car en plus, emmerder le voisin de chambrée, opéré l'après-midi même pour la pause d'une prothèse de hanche dénotait un non-respect manifeste de la souffrance d'autrui.
Mais Ludo, il n'est pas comme cela. Il se l'est tapé tout seul, Les Petits Mouchoirs. Il n'a ennuyé que lui-même, en assistant à un film colonie de vacances où Guillaume Canet, le mono' en chef, semble avoir shooté au jour le jour une improvisation géante à 17 millions d'euros. C'est que c'est de plus en plus cher, les colo', de nos jours.
Il est sympa, le mono'. Il a invité toute sa bande, ses potes et sa famille, à venir jouer une comédie approximative et en roue libre, investissant des personnages que l'on a presque tous envie de noyer. Minables, égoïstes, petits, veules ou lâches. Les acteurs n'en ressortent pas grandis. Même François Cluzet en devient antipathique. Lui, le paralytique d'Intouchables, le seul à qui on ne crevait pas les pneus du fauteuil roulant. C'est dire.
La juxtaposition des scènes entretient l'illusion de l'existence d'un scénario. Presque aucune émotion ne s'en dégage. Enfin si, Ludo s'est énervé à l'idée qu'on lui ait refilé du réchauffé qu'on lui a fait passé pour du grand art. Il s'est senti totalement exclu de ce gros film autiste de potes qui n'a été tourné qu'à l'attention de ces derniers, excluant de facto le spectateur lambda totalement étranger à cette bande. Il met en scène des personnes minables et antipathiques qui se regardent le nombril et nous lancent au visage leurs problèmes insignifiants de chasse à la fouine, de gazon trop haut et de SMS, ainsi que leurs émotions systématiquement factices qu'ils font semblant de ressentir.
Après 2H34 de longueurs et de tablées où était servie la soupe à la grimace, Ludo, s'il soupirait, mesurait pourtant la chance toute relative d'avoir évité cette réunion estivale aussi joyeuse que la veillée funèbre de Mémé Lucienne. S'il souffrait le martyr constamment et était abruti par les médicaments, au moins, la bouffe n'était pas trop mauvaise pour un hôpital. Et surtout, il pouvait jeter des regards appuyés au fessier attirant, rond et ferme qui lui souriait de l'infirmière gironde qui lui prodigait les soins quotidiens.
Il pensait enfin que s'il était amené à mourir demain, il ne serait déjà plus là pour assister à ce bal des hypocrites : larmes de crocodile, remords, regrets égoïstes et discours embués à trémolos. Car Ludo, il avait horreur de cela : qu'on lui extorque des larmes.