Sans doute est-il préférable, pour aborder cette nouvelle adaptation du roman (1966) de l'Américain Thomas Cullinan (1919-1985), de ne pas avoir vu le film pareillement titré de Don Siegel, sorti en 1971, et plaçant l'irrésistible Clint (j'ai nommé Eastwood...) dans le rôle du Caporal nordiste John McBurney, rôle ici tenu, de façon très convaincante, par Colin Farrell.


On se laisse ainsi volontiers prendre par cette histoire de dentelles et de sang, dans laquelle ce malheureux soldat, blessé à la jambe, se trouve recueilli et, dans un premier temps, soigné par les sept femmes sudistes occupant encore, durant la guerre de Sécession, un pensionnat pour jeunes filles : Martha (Nicole Kidman), la directrice, Edwina (Kirsten Dunst), la préceptrice, et cinq pensionnaires de tous âges, parmi lesquelles l'aînée, la plus délurée de toutes (Elle Fanning). Le beau militaire - dont Martha a fait la toilette, pendant qu'il était inconscient, aussi religieusement que s'il s'était agi du corps du Christ - ne tarde pas à affoler totalement ce gynécée retranché, pendant qu'il est lui-même plus que troublé par ces créatures papillonnant, plus ou moins furtivement, autour de lui et s'employant à le séduire, chacune à sa manière.


Alors que le jardin qui l'entoure est peu à peu regagné par la sauvagerie d'une nature impétueuse, la vaste maison au porche austère préserve un intérieur aussi élégant et délicat que si ses occupantes avaient la chance de vivre en temps de paix. Les décorateurs, les costumiers et le directeur de la photographie ont su recréer une atmosphère subtilement désuète, comme poudrée, à laquelle le rescapé des combats, tout comme le spectateur, s'abandonne d'abord voluptueusement.


Tout comme dans "Virgin Suicides" (1999), Sophia Coppola excelle à restituer le climat d'un espace livré au féminin, aux déplacements silencieux, aux gestes précis, aux mots chuchotés et aux petits rires de souris. Mais ici, en cette seconde moitié du XIXème siècle dans laquelle sont situés les évènements, la réalisatrice va également nous rendre témoins des ravages causés par la sensualité réprimée, la sexualité condamnée, pire frustrée, et pire encore offensée.


Alors sera déchiré le beau tamis des dentelles et le sang pourra sourdre, aux dépens du beau mâle qui aura provoqué tout ce dérèglement. "Frailty, thy name is woman" ("Fragilité, ton nom est femme"), déclarait Hamlet... On n'en est plus si sûr, devant la force et la froideur réunies par ces dames, qui s'estiment placées en état de légitime vengeance. Dès lors, qui est véritablement la "proie" ? La gent féminine, livrée à la séduction de l'homme quelque peu manipulateur ? Ou le séducteur démasqué, livré à la vindicte de ses anciennes proies ?


Le titre anglais, "The Beguiled", participe passé du verbe "to beguile" (séduire, tromper, enjôler...), ne tranchait ni entre le singulier et le pluriel, ni entre le féminin et le masculin, permettant une polysémie plus intéressante, qui pouvait dire la réversibilité de la situation... Dans la mesure où Sophia Coppola choisit de mettre l'accent sur le point de vue féminin, on peut presque regretter que les distributeurs français de son film n'aient pas préféré le distinguer nettement de la version plus testostéronée de Don Siegel, en l'intitulant "La Proie"...

AnneSchneider
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le 29 août 2017

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Anne Schneider

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