Kitty, Daisy & Lewis - Smoking in heaven


Tu vois mon p'tit, ce film, c'est un peu l'genre de pellicule qui sent bon la clope. De celles qu'on fumait au cinéma, le samedi soir, quelque part dans les années cinquante en regardant l'écran à travers l'épaisse fumée conférant à la séance des airs mystiques. Une expérience qui te laisse un goût âcre dans la bouche et t'explose la rétine
Puis une odeur d'histoire un peu, accroché au 35 mm. C'est le monument de ton tonton cinéphile, qu'il se repasse tous les mois, la larme à l’œil et te serinant un « tu vois mon grand, ça c'était du cinéma ».

Le film que ton petit-cousin, du genre péteux en école de cinéma, te cite en te l'expliquant en long en large, te toisant avec toute la suffisance des gens de bien qui eux, connaissent leur sujet parce qu'ils savent, eux.
Ils en oublieraient presque que c'est avant tout une histoire, tiens.


Une histoire de braves, d'héroïsme, de détresse et d'humanité. Une histoire qui commence sur fond de campagne, village perdu dans les montagnes qu'abordent des bandits hirsutes engoncés dans des armures dépareillées. Ils planifient l'attaque pour dans quelques mois, le temps que les pégus s'coltinent la récolte.
Le problème c'est qu'un gus entend tout, grand chambardement au village. Dire qu'ils l'ont un peu mauvaise, ça serait de l'euphémisme. Ils l'ont dans le baba à cause de ces quarante voleurs. Alors tractations, consultation de l'ancien, un vieux un peu classe et mystérieux, comme dirait Perceval. Un type avec une voix tantôt chevrotante, tantôt assurée, mi-charismatique, mi-comique et re mi-charismatique derrière.
Il va leur falloir réunir des samouraïs qui accepteraient de bosser pour trois bols de riz.


Ils vont tomber sur ce type, un vieux briscard qui vient au secours de la veuve et de l'orphelin là où d'autres ne font que passer leur chemin. Prêt à se couper le chignon et à se grimer en bonze pour te sabrer un voleur retranché avec un bambin dans une grange. Le genre de gars que tout l'monde regarde, que les badauds admirent. Suivi par un jeune freluquet, un môme du type toutou fidèle, accroché à ses basques.
Prenant les pauvres hères en pitié, le bougre se donne pour mission de les aider et réunit pour ce faire, tant bien que mal, six autres lascars du genre armoire et plutôt commodes, qui connaissent leur bushido sur le bout de leur sabre.


Un vieux chef sage et bon
Un Gorobei à la sagesse débonnaire.
Un compagnon d'armes de longue date, doué pour jouer de l'épée.
Un perfectionniste, du genre gueule de tueur et le talent qui va avec.
Un marrant. Parce qu'il faut s'marrer, à la guerre.
Un jeune, les batailles, ça forge la jeunesse.
Le septième détonne un peu, avec son énorme no-dachi et ses manières de brigand, chien fou hurlant et sifflant, crachant et cabotinant. Pour un peu on dirait qu'il est pas très samouraï, le gars. Pour un peu on se dirait qu'il a usurpé son titre.


En trois heure trente, t'as le temps d'en raconter des choses. Alors on voit l'arrivée parmi les villageois effrayés à l'idée que les guerriers se tapent leurs filles. Puis bon, ils s'apprivoisent, tant bien que mal. La vie continue, les réserves et griefs sont juste sous la surface. Heureusement, y a ce bon Kikuchiyo pour désamorcer la chose, faire le lien entre paysans et guerriers. Parce qu'on apprend qu'il est paysan, à la base, le type. Mais bon, il est marrant, on lui en veut pas. C'est la caution comique de la bande.


Et tout ce beau monde vit ensemble, s'entraîne au maniement de la lance, fortifie le village sous les ordres d'un Kanbei implacable tacticien et fin diplomate.
Note que pendant tout ça, le petit jeune il ne fait pas grand-chose. Bon, il observe, il batifole dans les fleurs, il cueille, hume, rit. Pour peu, il marche à la voile et à la vapeur, si tu vois ce que je veux dire. J'étais un peu dans l'expectative avec celui-là, m'attendant à le voir déclarer sa flamme à Kyuzō.


Sauf que bon, il se trouve quand même une fille de paysan à aimer, en plein milieu d'une clairière. Parce que la guerre et la bravoure, sans l'amour, qu'est-ce que c'est, hein ? J'te l'demande.
Sinon il transmet des messages et jette des coups d’œil admiratifs aux autres samouraïs. Limite inutile le garçon.


Enfin, tout bonheur est éphémère, alors après les préparatifs, après les liens qui se forgent viennent les bandits. Une bonne heure de conflit, jusqu'à la dernière aurore, que l'on devine rouge derrière les nuages – parce que beaucoup de sang a coulé cette nuit, à n'en pas douter – et cette charge désespérée des brigands qui répondent à l'invitation lancée par le fort, le tout sous des trombes d'eaux. Magique j'te dis, bonhomme. Magique.


Tu vois, c'est un beau morceau, ce film. Un narval cinématographique pour ainsi dire. L'inexplicable alchimie des acteurs, du réalisateur, de la musique qui fait que y a un truc. Un machin-chose que tu peux pas trop t'expliquer, toi, le béotien. Une première partie qui sonde l'âme de la société, l'aspect social de cette période historique japonaise, puis la seconde qui sonde l'âme des personnages. C'est beau, te dis-je !


L'genre de film que tu t'y attaques à reculons, écrasé par le poids des récompenses et critiques de presse dithyrambiques à emporter, format Télérama ou bien Cahiers du cinéma, qui t'expliquent que c'est The bobine. Et que finalement, tu prends un panard monstrueux.
Le film qui en influencera des réalisateurs, à pouvoir en remplir un plein cargo. On va pas se mettre à citer tous ces faisans, mais y en a un paquet. Kurosawa, y a pas à dire, il savait où il mettait les pieds.


Et il imprime, au long d'un an de tournage pharaonique, multipliant les caméras comme d'autres multipliaient les pains, un morceau d'héroïsme comme on en voit pas beaucoup. Une bataille pour l'honneur, pour la défense de l'opprimé, pour l'aventure, en plein Sengoku Jidai. Et ça te colle des frissons autrement plus intenses que beaucoup d'choses d'aujourd'hui. De l'humour, des larmes, du sang, du courage, de la pluie, du vent et des plans sublimes, tous au service de l'action, du propos, sans lenteurs inutiles.
Ventre-saint-gris, je suis sous l'charme !


Sinon le titre, pour finir là-dessus, n'a aucun rapport avec le film mais avec un autre métrage, probablement Japonais. Une phrase qu'une tante me sortait dès que j'évoquais le Japon et comme elle était ouvreuse dans un ciné, j'me doute que ça doit venir d'un film. Mais lequel... mystère. Si jamais tu sais, t'as toute ma gratitude.

Petitbarbu
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le 11 août 2015

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Petitbarbu

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