Les Vampires de Salem
5.8
Les Vampires de Salem

Téléfilm de Tobe Hooper (1979)

Salem's Lot est un téléfilm réalisé par Tobe Hooper, à la fin d'une décennie qu'il avait entamée avec « Massacre à la Tronçonneuse », le film qui lui avait valu une infamante réputation et le mépris généralisé, y compris d'une partie des fans de cinéma fantastique. Depuis, une copie a eu l'honneur d'être conservée au MOMA.
Comme dans beaucoup de récits de Stephen King, dont c'est la première histoire de vampire, on retrouve la petite ville frappée par une malédiction récurrente, un MAL métaphysique incarné sous la forme d'une menace surnaturelle (voir aussi le multiforme, innommable et indescriptible « CA »), qui provoque des morts en série, et trouve un écho dans les cœurs de certains habitants corrompus ou corruptibles (cf le diable et ses ironiques « Needful Things »). Comme l'indique le titre original, le malheur ne s'abat pas encore sur la générique Little Rock, mais sur une « Salem's Lot » de 2000 habitants. Mais comme les Grands Anciens qui hantent la Providence de Lovecraft, l'horreur antédiluvienne est liée aux habitants d'un lieu, comme si elle remontait à un pacte originel. Satané Lovecraft. Au fait, Salem est le diminutif de Jerusalem.


Même si les vampires débarquent de la vieille Europe (comme Dracula, « Go West! »), ils s'arrêtent dans un lieu maudit prédestiné à leur séjour – que David Soul, de retour après vingt ans, identifie à la maison isolée à flanc de colline où eut lieu durant son enfance un meurtre accompli par un chef de famille (un peu comme dans la maison hantée de « Shining »). Il est revenu exorciser les démons qui l'ont fait fuir, en écrivant un roman sur ces lieux – mais comme dans le cas de l'Overlook (bien nommé) de « Shining », il commet peut-être une erreur en se focalisant sur le bâtiment, et en oubliant l'histoire de sa fondation; qu'il s'agisse du massacre des amérindiens, ou de la chasse aux sorcières, à laquelle le nom de Salem est associé.
Ainsi lorsque les premières victimes sont des innocents (des enfants), il est possible qu'ils expient pour leurs ancêtres, frappés par cette bonne vieille malédiction transgénérationnelle, le typique mot de la fin de toute bonne sorcière immolée sur un bûcher. Le mal se transmet comme une épidémie aveugle qui n'épargne pas les vertueux, et contre laquelle il n'existe pas de remède définitif.
Autre subtilité dans ce combat contre le MAL, le héros a les chocottes. On retrouve cette caractéristique dans « Ça », où l'un des personnages ayant fui la ville de son enfance va préférer se suicider plutôt que revenir affronter le péril auquel il a survécu de justesse par le passé. Mais ici aussi, les chevaliers du BIEN sont prédestinés, même si embrasser leur fatum ne leur assure qu'une vie misérable. Et ici aussi, le personnage principal est devenu écrivain afin de transcender ses traumatismes sous forme fictionnelle – mais le mal est revenu dans la ville en même temps que lui, et il continuera à le poursuivre ensuite : King se permet de douter de la possibilité d'exorciser le malheur par la création...


Ce téléfilm avait été divisé en deux parties de 1h30, ce qui préfigure des adaptations ultérieures des romans choraux de King (Ça, La Tempête du Siècle). Il se donne le temps d'installer ses personnages, et la progressive menace surnaturelle, en toute fidélité à la méthode narrative de Stephen King, qui réussit à nous intéresser à leur éventuel sort de victimes. J'ai lu le livre il y a trop longtemps pour savoir argumenter, mais j'ai préféré le film. L'ambiance s'installe; la musique, énième variation sur le thème funèbre de Bach qui sera repris au synthé un an plus tard en intro du « Shining » de Kubrick, remplit son office sans génie. Les acteurs habituels (on reconnaît les seconds rôles de l'époque, dont feu le père de Juliette Lewis) sont américains, donc bons. James fait son Mason, inattendu assistant du vampire, style valet britannique guindé et tiré à quatre épingles, qui vit pourtant dans une baraque envahie par la moisissure et la charogne, et accomplit ses tâches infâmes avec bonhommie. Excellent.


De subtils mouvements de caméra renforcent le caractère iconique des plans-clés, comme l'arrivée à l'intérieur de la maison maudite – et l'image qui restera dans ma mémoire (en plus évidemment du faciès du vampire en chef, que je connaissais déjà, et qui s'inspire de... mais découvrez le par vous-même en regardant le film si vous ne le savez pas déjà), concerne le moment où l'un des enfants vient chercher son frère dans sa chambre.


Voilà. J'ai enfin eu l'opportunité de voir ce (télé)film assez difficile à dénicher et dont je n'attendais pas grand chose, au final très honorable représentant de l'âge de bronze du cinéma d'épouvante, qui ne déméritait pas aux côtés du « Fog » de Carpenter. Tobe Hooper y démontrait sa capacité à foutre la frousse sans user de moyens grand-guignolesques, ce qui a probablement attiré l'attention de Spielberg pour « Poltergeist ».


à redécouvrir !

ChatonMarmot
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le 10 oct. 2015

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