Les Virtuoses par Gérard Rocher La Fête de l'Art
Rien ne va plus dans le village de Grimley dans le Yorkshire. En cette période de restructurations économiques des années 1990, le gouvernement de Margaret Thatcher a décidé de fermer les mines de charbon, laissant parmi les 250 000 chômeurs un grand nombre d'hommes de Grimley. Outre la mine, la gloire locale est l'orchestre d'harmonie dirigé avec ferveur et enthousiasme par Danny, un ancien mineur. Son rêve est de participer aux éliminatoires et à la grande finale du "Championnat National de Fanfare" au Royal Albert Hall de Londres. La grève fait rage, les grévistes sont divisés et cet alléchant projet musical est sur le point d'échouer. Gloria, petite fille d'un ancien mineur du village, débarque à Grimley avec un bugle dont elle joue à merveille mais avec une réputation ternie puisqu'elle fait partie de la délégation chargée de décider de la fermeture de la mine. Seule fille de l'orchestre, elle arrive à redonner un peu d'espoir à ces musiciens blessés et obnubilés par la peur du chômage. Il est donc décidé après discussions de disputer ce concours. En effet, si la mine disparaît, il restera au moins sa fanfare...
Ce film sorti en 1996 en Angleterre ne fut pas accueilli avec joie par les conservateurs car les élections générales se déroulaient en 1997 et il faut dire que la politique "ultra-libérale" de son premier ministre de l'époque est sérieusement mise à mal dans cette oeuvre. C'est pourtant l'impitoyable situation de ces villages uniquement orientés vers leur mine de charbon que nous dépeint Mark Herman. Il décrit avec parfois un peu d'outrance un peuple sans avenir, presque livré à lui-même pour lequel la fanfare dirigée par Danny, têtu et volontaire, est le seul élément fédérateur dans cette grisaille ambiante. Les couples se déchirent, les copains de la mine également. Une lutte acharnée s'engage entre les partisans de la manière forte pour le maintien de l'outil de travail et les "jaunes" qui acceptent une prime de départ offerte par la direction. Ce peuple est déphasé. D'autant plus que la mine est rentable, ils ne peuvent se contraindre à l'idée que le charbon est remplacé par d'autres énergies,tel que le nucléaire. Certains, souffrant de la "maladie du charbon", continuent à porter en eux un amour sincère pour leur outil de travail et lorsque la mine meurt, le mineur et le village agonisent. La haine, le suicuide et le divorce deviennent le menu quotidien de ces petites gens, certes simples, mais courageux et fiers.
Dans ce film, certaines scènes sont poignantes. Voir un mineur se transformer en clown minable afin de récolter quelques subsides pour survivre, le voir insulter Dieu dans l'église du village qui dans sa grande mansuétude "oublie" les plus pauvres, voir ce clown pendu en haut de "sa" mine, tel un pantin disloqué, tout cela ne peut que bouleverser et faire réfléchir sur l'avenir de notre société. Gloria sera le symbole du sursaut d'orgueil de cette mine en apportant, pour un instant, à ces familles en péril du bonheur et une dignité grâce à la musique. Ce film courageux et réaliste manque parfois de naturel, il n'en demeure pas moins que, outre les séquences décrites ci-dessus, il possède d'autres grands moments émouvants grâce à cette musique omniprésente. L'interprétation du concerto d'Aranjuez de Rodrigo ou l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini, en pélude au glorieux final de l'orchestre de Grimley, est somptueuse et nous offre un grand moment de cinéma . L'interprétation de Pete Postlethwaite ( Danny) le chef de fanfare décidé et nostalgique est splendide comme le sont également celles de Stephen Tompkinson ( Phil) pauvre clown désespéré, de Ewan McGregor' ( Andy) lequel dans cette grisaille amène un peu de ciel bleu, amoureux de la ravissante et sensible Gloria interprétée par Tara Fitzgerald.
Il est vrai que la réalité de notre monde est souvent difficile à vivre et à regarder mais sous le visage de la musique et de la solidarité, malgré les dures épreuves, Mark Herman réussit dans son entreprise de film militant et parvient à nous faire passer son message de brillante manière.
Ce film a obtenu: le César du Meilleur film étranger en 1998, le Grand Prix du Festival du Film de Paris en 1997 et trois nominations aux BAFTA de 1997: meilleur film britanique, meilleur scénario original et meilleure musique de film.