La grande réussite de Mientras dure la guerra tient à sa peinture d’un intellectuel dans la tourmente de l’Histoire, à l’évolution rapide d’une pensée philosophique qui voit ses idéaux se tacher de sang puis s’écrouler les uns après les autres. Miguel de Unamuno est un personnage passionnant, dont l’activité politique et littéraire offre un prisme intéressant pour aborder la montée au pouvoir de Franco et l’installation de la dictature ; d’abord malicieux, toujours entêté et fidèle à ses dogmes, il devient peu à peu vieillissant, affaibli par des engagements politiques qu’il est contraint de prendre sans qu’un cheminement intérieur n’ait eu le temps de se faire.


Aussi Unamuno ne prend-il parti que pour ses idées, se ralliant par défaut et souci de préserver la république espagnole ; son humanisme semble rejoindre celui d’Alejandro Amenábar qui, une fois encore, relate la fin d’un monde sur le point de disparaître – comme il le faisait déjà dans Agora par exemple, voire The Others –, un monde encore gouverné par l’esprit et le sens du débat, concurrencé par les devises de propagande et les exclamations creuses et vulgaires qui n’ont pour fonction que de conforter les bas instincts de l’espèce humaine. Le long métrage interroge le patriotisme et le sens à donner à celui-ci lorsqu’il s’affranchit des institutions et des valeurs : ouverture et clausule représentent un drapeau et paraissent en questionner la légitimité, et entre les deux s’effectuent lentement et péniblement le déclin d’un âge, le crépuscule d’une pensée qui s’éteint à mesure que monte la rage du fanatisme nationaliste.


Amenábar ménage ses effets, épure son œuvre des virtuosités formelles qui définissent son style, privilégiant avec raison la modestie et l’intimiste – à l’instar de ce plan magnifique sur les lunettes d’Unamuno dont les verres renvoient l’image de la foule se déchaînant sur les bancs de l’université. Mientras dure la guerra est une œuvre précise et minutieuse, un tantinet longuette mais aux longueurs nécessaires pour donner à voir et à vivre le bouleversement intestin d’une pensée et d’une civilisation.

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le 16 juil. 2020

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