Dès ce premier film, James Gray affiche (et se montre à la hauteur d') une ambition considérable. Drame familial mêlé à un contexte mafieux, Little Odessa a des allures de classique instantané. En terme d'originalité sur le plan de la narration, il est faible, concernant les caractères et les intrigues, il est extrêmement ramassé ; Little Odessa fait preuve d'un art de la synthèse édifiant, au point de ressembler au résumé d'un programme beaucoup plus profond.


Cette sensation est alimentée par une deuxième raison : James Gray tue l'émotion délibérément, ou plutôt la met en cage. Sa mise en scène tend à déshumaniser, invite à la compassion mais pas à l'implication. Une tragédie se déroule et Gray en déploie les rouages. Il réalise une œuvre puissante et rayonnante, dont le contenu humain est réduit à l'état de figuration 'épaisse'. Pendant que la famille Shapira croule sous les non-dits, ceux-là règnent en maître ; pendant que le spectateur est plongé dans l'intimité de cette humanité maudite, une main de fer étouffe les cris et les soupirs de cette humanité afin d'ordonner une cérémonie.


Joshua, le personnage central, est introduit de manière fracassante et minimaliste, puis sera traité de la même manière tout le long, particulièrement adéquate dans son cas puisqu'il est en mode automate. Rejeton condamné des voyous, Joshua est incapable de se révéler à lui-même, au point de ne trop se sentir vivant. Son activisme de gangster est mécanique et se substitue à son être ; c'est un maillon ambivalent, solitaire mais alourdi par ses tristes racines, libre mais accroché par sa rancœur et ses devoirs envers sa famille. Il a pris sa place dans le business malsain qui l'a mis au monde et essoré ; il en est au stade où c'est à son tour de le dévorer. D'abord comme le produit prenant sa revanche puis comme agent autonome. Tout cet univers fait inévitablement penser à Ferrara et à Scorsese et Little Odessa, comme la suite de la carrière de James Gray, semble venir prendre la relève ou du moins s'ajouter.


La fermeture de son cinéma donne cette impression d'un auteur reprenant à son compte des repères existants, pour les restituer avec maturité, maîtrise, mais aussi sécheresse voir une forme de minimalisme. James Gray est probablement un virtuose malin, c'est aussi un cinéaste au style unique : manque de chair, lyrisme froid, précis et conclusif. Ce perfectionnisme amène à concevoir des démonstrations imprenables, magnétiques, avec une forte prestance et une colonne vertébrale épurée jusqu'au dernier degré. Dans Little Odessa, Gray est encore un jeune cinéaste indépendant et une certaine fraîcheur habite son œuvre, semi-autobiographique de surcroît et parcourue de confidences pénétrantes de la part des protagonistes. Dès le retour avec The Yards six ans après, cette manière de 'purger' l'identité de son matériau au profit d'un amour de la sophistication va devenir accablante.


https://zogarok.wordpress.com/2015/07/13/little-odessa/

Créée

le 13 juil. 2015

Critique lue 556 fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 556 fois

3

D'autres avis sur Little Odessa

Little Odessa
Sergent_Pepper
8

Requiem for a teen.

L’entrée en cinéma de James Gray se fait par un geste aussi fort que naïf : dans une salle obscure, face à un western dont la pellicule finit par brûler. La symbolique est ambivalente : fin du...

le 13 sept. 2016

59 j'aime

4

Little Odessa
drélium
5

Critique de Little Odessa par drélium

Il y a quelque chose, du James Gray surement, faut aimer... C'est incroyablement déprimant et remporte une certaine unanimité qui m'étonnera toujours. C'est bien joué assez logiquement avec Tim Roth...

le 22 juin 2012

35 j'aime

9

Little Odessa
Kiwi-
8

Childhood Poverty.

Comme les matriochkas, « Little Odessa » enchaine au milieu d’une tragédie familiale un thriller obscur se composant de plusieurs facettes. Chronique d’une famille russe égarée à Brooklyn et dont...

le 15 mars 2016

31 j'aime

2

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2