Comme les matriochkas, « Little Odessa » enchaine au milieu d’une tragédie familiale un thriller obscur se composant de plusieurs facettes. Chronique d’une famille russe égarée à Brooklyn et dont l’un des fils est un tueur à gage bien connu des milieux mafieux, « Little Odessa » est un thriller hivernal dopé à la tragédie grecque. James Gray, réalisant ici son premier film de long-métrage à 24 ans, utilise les rues neigeuses de New-York comme un théâtre digne d’une odyssée, celle d’un tueur à gage ressurgissant d’entre les morts pour hanter sa propre famille. À l’aide de plans anxiogènes, Gray s’accroche à cet homme ambigu joué par un Tim Roth qui semble avoir conscience de conquérir l’un de ses plus grands rôles. Il immortalise un New-York enneigé ainsi que la population russophone régnant dans les rues, suivant notamment un enfant introvertie, fumeur et sécheur de cours obsessionnel qui s’avère être le frère de ce tueur à gage ordurier. Au milieu de tout cela, une famille pauvre dont la mère est atteinte par une tumeur et un père autoritaire.


« Little Odessa » se construit dans le malheur. Pas une étincelle de bonheur ne vient sublimer le récit. Comme il le fera par la suite dans « The Yards » ou « La Nuit Nous Appartient », James Gray s’attache premièrement aux relations entre père et fils, sublimant une dramaturgie simple mais évitant soigneusement la facilité. Le film s’ouvre d’ailleurs à travers un extrait austère d’un western titré « La Vallée de la Vengeance », dans lequel un homme meurt avant que son père confesse l’avoir symboliquement tué, il y a bien longtemps déjà. Esthétiquement très proche du « Parrain » de Francis Ford Coppola auquel il multiplie les références, mais aussi du « Guépard » de Luchino Visconti, « Little Odessa » se révèle plus comme une analyse des rapports familiaux que comme un polar glacial. La relation qui résulte de la rencontre hasardeuse entre le jeune homme et son frère tueur à gage est l’élément central du film, se constituant comme une peinture sociale d’une lucidité effrayante et d’un réalisme terrassant doublé par une intense plongée émotionnelle dans le milieu criminel servie par des interprétations tout en retenue.


Flanqué d’une matière littérale dans laquelle on retrouve notamment « Crimes et Châtiments » de Dostoïevski ainsi que de nombreuses références à la littérature slave, « Little Odessa » suis le long naufrage des esprits accablés par la résurrection du passé et l’inquiétude face à l’avenir. La mère de famille peut être comparée à ces personnages victimes d’une agonie lente dans la peinture, ce qui ajoute en plus dans le coté antique dans lequel le film nage jusqu’à son esthétique. Ici, les silences parlent plus que les sons, et la tension nait de la fébrilité des regards. Les sentiments sont développés au sein de la sécheresse, la stylisation demeure élégante, déshabillée de tout tapage, opposant la froideur des impressions à la chaleur de certains gestes.


C’est un procédé que James Gray continuera à utiliser, au service d’une filmographie inégale mais constituant un magnifique édifice. S’en suivra « The Yards », marquant l’entrée du policier dans les années 2000, et son chef d’œuvre. Mazal tov !

Kiwi-
8
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le 15 mars 2016

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