C'est un film que j'ai envie de défendre et de chérir très fort, tant pis s'il n'est pas parfaitement réussi. D'abord, il m'a fallu du temps pour rentrer dans le film, je trouvais la première heure très paresseuse, pleine de posture, pas très drôle. J'ai mis du temps à trouver pertinent le lien entre la mise en scène de Dumont et la volonté comique du geste. Le film est assez difforme, il a quelque chose de monstrueux, de fondamentalement violent et de bête à la fois ; il est donc difficile de l'aborder, de le saisir, de le comprendre. C'est un film totalement irrécupérable, comme l'est par nature le cinéma de Dumont, en deçà de toute intention, de tout message. Je ne sais pas vraiment si j'aime Luchini ou Binoche là-dedans, si je comprend vraiment le film. J'y sens une dialectique très forte entre la tentation du lyrisme et la tonalité comique auquel s'essaie Dumont, qu'il met en place dans un étrange processus d'autodestruction et de dérèglement de la lourdeur de son cinéma par la rire. Sous les notes grandioses et émouvantes de Guillaume Lekeu, il y a toujours une incongruité qui pointe. C'est dans ce jeu avec les tonalités que Ma Loute intrigue, pour finir par me cueillir vraiment dans sa seconde partie. Dans ses saillies les plus puissantes, le film me fait un peu penser aux portraits du Douanier Rousseau, très lisses et bariolés, composés très naïvement, et dont l'incongruité, le grosseur du trait, finissent par hanter progressivement.
Et comme Rousseau, ce que peint le mieux Dumont, ce sont les enfants. Visage mi-adulte mi-enfant, mi-garçon mi-fille, coincés entre les sexes, les âges et les classes : eux-seuls ont des visages, des yeux perçants, plus qu'un corps qui se craquelle ou explose comme un ballon de baudruche. Mais encore une fois, le lyrisme qu'ils portent en eux n'écrase pas la drôlerie du film, comme en témoigne un dernier plan où une étreinte débouche sur un dernier gag dans le hors-champs.