Attention, objet filmique non identifié ! En misanthrope patenté, Bruno Dumont tape sur toutes les couches de la société, de la bourgeoisie décadente au prolétariat anthropophage, avec un humour féroce, étonnant mais aussi poétique. Grâce à son inventivité et son audace, Ma Loute réveille à grands coups d'absurde un cinéma français qui en manque cruellement, méritant pleinement sa place dans la sélection cannoise. Un chef d'oeuvre on vous dit !


Ambleteuse, Nord-Pas-de-Calais, 1910. Tandis que la famille Van Peteghem prend leurs quartiers d'été, des touristes disparaissent mystérieusement dans la baie. L'inspecteur Machin (Didier Despres) tente de mener l'enquête. Pendant ce temps, la jeune Billie (Raph) tombe sous le charme Ma Loute (Brandon Lavieville), jeune pêcheur aux mœurs particulières.


Contrairement au casting glamour de Money Monster, Ma Loute, elle joue pas les starlettes pour gravir les marches du Festival de Cannes. Fabrice Lucchini préférant s'étendre sur les méfaits de l'apéritif et son appétence pour Yves Calvi pendant la conférence de presse. Un numéro excentrique habituel de l'acteur mais qui, étrangement, n'apparaît pas dans le dernier film de Bruno Dumont.



Ma Loute, elle joue pas les starlettes (air connu)



C'est l'une des nombreuses bonnes idées de Ma Loute : Utiliser à contre-emploi les stars à l'affiche, décontenançant ainsi le spectateur qui ne s'attend pas alors à une telle composition. Fabrice Lucchini en bourgeois un chouïa consanguin est méconnaissable : Dos voûté, visage déformé et timbre de voix moins hystérique, l'acteur est à mille lieux de ce qu'il proposait auparavant. Il en va de même pour Juliette Binoche qui semble se démarquer de l'image sérieuse qui lui colle à la peau grâce à sa prestation en sœurette Van Peteghem frappadingue. Elle hurle, elle gesticule, toujours dans l'excès pour notre plus grand plaisir : " Ce qui m’intéressait, c’était de tous les contrarier et de révéler quelque chose en eux", assure Bruno Dumont. Le choix d'installer ces acteurs dans un rôle contre-emploi s'allie alors parfaitement à la prestation des non-professionnels. Certains reprochent à Bruno Dumont son style trop naturaliste. Ici, le cinéaste créé une direction de comédiens unique qui oscille entre la grandiloquence des Van Peteghem et le jeu tout en nuance, parfois taiseux des pêcheurs de moules, plus proche d'une interprétation réaliste : " Je fais le même travail avec tous les acteurs, mais certains rôles demandent un réglage plus compliqué [...] J’avais besoin de virtuoses de la composition pour donner vie aux membres de la famille Van Peteghem. Ce sont des personnages très fabriqués et des acteurs « professionnels » y trouvent leur place naturelle", insiste-t-il.



Lutte des classes surréaliste



Ma Loute est impossible à cataloguer et c'est en cela qu'il nous hypnotise, se transformant peu à peu, devant nos yeux, en chef d'oeuvre. La comédie tutoie le tragique tandis que le réel se meut en poésie surréaliste. Tout est dans l'excès, des discussions absurdes qui prend des proportions démesurées, un inspecteur obèse qui roule dans les dunes, des "gueules" atypiques à l'accent exagéré. Mais le film bascule dans une certaine sobriété lorsqu'il s'intéresse à l'histoire d'amour entre Ma Loute, le pêcheur, et Billie, garçon-fille, fille-garçon d'Aude Van Peteghem (Juliette Binoche). Billie résume à elle-seule ce côté hybride de l'oeuvre, où les apparences sont trompeuses. Car, dans ce choc des cultures ou le Capitalisme côtoie le Prolétariat, la lutte des classe n'aura pas lieu. En parfait misanthrope, Bruno Dumont s'acharne sur ce beau petit monde dégénéré qui n'est pas si différent. Chacun ayant son lot de vices : Les Van Peteghem étant quelques peu adeptes de la consanguinité. Cousins-femme, mari-cousine, cousin-soeur, on s'y perd un peu dans la généalogie à l'instar de l'inspecteur Machin ("C'est le Capitalisme !", entonne le patriarche pour seul explication). Tandis que les Brifort profitent des allers-retours des estivants dans la baie pour s'adonner au cannibalisme.



62 Méfie te



Une seule chose reste immuable dans Ma Loute. La mise en scène de Bruno Dumont et les paysages du Nord de la France. La photographie du film magnifie aussi bien les paysages sauvages que les visages, donnant aux décors une imagerie de carte postale. Surtout, le réalisateur s'amuse à incarner cette folie qui émaille le film à travers la maison des Van Peteghem qui surplombe la baie. Style néo-égyptien faite de béton, la bâtisse donne une ambiance irréelle à l'environnement qui l'entoure, amenant des séquences démentes (L'aparté sur la glycine ou l'explication architecturale d'André pour l'inspecteur Machin).


Audacieux, poétique, barré, Ma Loute a un côté Affreux, sales et méchant d'Ettore Scola. L'humour et le style expérimental du chef d'oeuvre de Bruno Dumont feront sûrement grincer des dents certains. Mais il permet de réveiller un cinéma français quelque peu endormi. On ne peut que s'en lécher les babines.

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le 18 mai 2016

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