Pianiste extraverti, incontestable Michael Douglas et Soderbergh oublié par ses pairs

Face à une Amérique -apparemment- peu destinée à accepter un film aussi « homo » dans les salles de cinéma, Ma vie avec Liberace est « injustement » rabaissé au rang de film de télévision. Pour autant la télévision américaine regorge, du moins dans le domaine fiction, d’une bien meilleure qualité dans ses programmes que dans notre contrée hexagonale. Il suffit de voir la pertinence, le propos et le sérieux des sériées télévisées made in HBO (distributeur du film), qui fait de cette chaîne l’une des plus appréciées au monde pour ses productions fictionnelles. Soderbergh a une certaine dent contre les studios et ça se comprend car au-delà du propos homosexuel du film, Ma vie avec Liberace est un film soigneusement mis en scène, témoin d’une époque pas si révolue que ça et interprété par un duo d’acteurs époustouflants, en particulier un Michael Douglas qui peut y voir l’un des rôles majeurs de sa carrière.

Dans un souci constant de revendiquer un Festival de Cannes opposé aux majors hollywoodien et surtout de proposer une édition 2013 symbolique où Steven Soderbergh y est apparu une dernière fois en tant que réalisateur pour son dernier film avant sa retraite des plateaux (près d’un quart de siècle après la Palme d’Or pour Sexe, mensonges et Vidéos), Ma Vie avec Liberace fût sélectionné en compétition officielle. Rentré bredouille, la vie et l’œuvre du célèbre pianiste à paillettes n’a pas manqué de faire intensément parler de lui. Icône de la culture nord-américaine, il faut dire que Wladziu Valentino Liberace est peu méconnu chez nous. Sa vie n’en reste pas moins un terrain de travail incroyable pour le cinéma. Pianiste majeur à l’âge de 8 ans, jouant dans les plus grands cabarets et salles des Etats-Unis et inventeur oublié du show-business télévisé (il fût le premier à alterner mélodies et dialogues avec le public, composés essentiellement de blagues ce qui ravissait les spectateurs), Liberace était l’une des personnalités les plus célèbres et les plus riches du Las Vegas d’autrefois, usine à strass et chirurgies esthétiques. Dans la sphère privée également, la vie de Liberace était tout ce qu’il y a de plus complexe. Empire du faux, homosexualité refoulée, symbole du kitsch assumé, mal à l'aise avec sa mère qui rejetait ses cours de piano étant enfant, Liberace eût une vie compliquée qui fût révélée entièrement après sa mort, laissant l’image d’un homme honteux de son homosexualité et soucieux de contrôler entièrement la situation pour ne jamais décevoir son public, désireux de le divertir à tout prix.

Après un excellent Effets Secondaires qui renouait avec brio le thriller hitchcockien, Steven Soderbergh conclue sa carrière en dent de scie avec un film intimiste, intéressant mais trop linéaire vis-à-vis de son fil narratif pour laisser l’empreinte finale d’un réalisateur hors-pairs qui aura définitivement marqué le cinéma américain. A l’inverse, c’est Michael Douglas qui illumine le film de ses paillettes et de son excentricité à chaque plan où il apparaît. Ce serait un euphémisme de dire qu’il s’agit là d’un de ses meilleurs derniers rôles, tant sa filmographie récente (avant son cancer) plombait les rôles célèbres de sa carrière (The Game, Basic Instinct, Traffic, Wall Street). Avec Liberace, il trouve un rôle de composition majestueux que l’acteur s’empresse de rendre touchant, exagérant légèrement le trait mais prouvant que sa panoplie de jeux lui permet de s’approprier intégralement la personnalité homosexuelle et névrosée de ce pianiste hors-normes. A la fin du film, une seule question se pose : Comment diable se fait-il qu’il n’a pas reçu le prix d’interprétation ? (il faudra attendre la sortie de Nebraska et l’interprétation de Bruce Dern pour définitivement juger). A côté, il y a Matt Damon, moins éblouissant que sa « vielle folle » d’amant mais tout aussi épatant. Il y joue Scott Thorton, un jeune bisexuel, à la limite du gigolo, en manque de repère dans le monde du show-business. Matt Damon prouve également que sa carrière est un exemple formidable de la réussite de cet acteur aussi bien dans les grosses productions que dans les films plus indépendants, parsemés également ici ou là d’œuvres largement dispensables, comme tout bon acteur. Si Michael Douglas est relativement fragile et figé dans ses émotions, Matt Damon est en revanche plus émotif, comme en témoignent ces scènes de colère où il communique magnifiquement la détresse de ce personnage, accroché à son amant.

Si la performance des deux acteurs ne fait pas défaut, en revanche il y a une certaine déception du côté du scénario écrit par Richard LaGravenese. En effet, l'intrigue se contente de suivre de manière linéaire certains moments qui couvre la vie du pianiste. Les shows, la rencontre, l’amour, les disputes, le SIDA et la mort. Finalement, tout est extrêmement prévisible et il aurait été intéressant de s’intéresser à d’autres événements de la vie de l’artiste, comme son conflit avec sa mère. Peut-être que pour le public nord-américain, Liberace est tellement reconnu qu’il n’y a pas besoin de s’attarder sur ces événements, mais il aurait été d’intéressant d’émettre ce rapport ambivalent entre la mère névrosée et son artiste de fils refoulé. Aussi, le film oublie étonnamment de s’attarder sur la relation ambiguë du pianiste avec les femmes pour duper les médias. Néanmoins, il ne faut pas complètement jeter la pierre au scénariste. Ma Vie avec Liberace est une formidable pièce témoin de cette époque de strass et de paillettes. Epoque de l'homosexualité cachée où Liberace s'est construit un palais du faux pour dissimuler sa vie privée, son homosexualité et sa relation avec Scott Thorton. De par la richesse de cet artiste, Soderbergh s'attarde également sur l’emploi grotesque de cette richesse par ces nouveaux riches qui se complaisent dans une sphère superficielle et ridicule. Ces plans qui suivent le couple du film montrent également en arrière-plan un décor jonché de bibelots exhibants, de décorations aux couleurs flashys, et de mobilier aux formes toutes plus saugrenues les unes que les autres. Là-dessus, il faut reconnaître que Liberace est un film à l’ambiance extrêmement bien retranscrite. Tous les honneurs vont au chef décorateur. Une sphère superficielle où la chirurgie esthétique est roi. Il est possible de tout faire, et de ne devenir plus que l’ombre de lui-même comme en témoigne l’inquiétude de Damon sur la perte de son visage au profit d’un visage crée par la volonté de son amant. Et puis, Liberace est surtout un film sur le thème de l’homosexualité. Il y a un regard étincelant sur cette Amérique qui refuse de voir la vérité en face. Comme lorsque Douglas et Damon s’amusent amoureusement alors que la femme de ménage passe sans que cela ne lui fasse le moindre effet, tandis que Damon s’inquiète des répercussions. Liberace a su gérer sa vie avec brio jusqu’à sa mort, où les révélations ont fusé de toute part.

Difficile à dire si ce sont les mentalités ou le contexte actuel qui a favorisé la chose mais 2013 peut définitivement se prévaloir d’être une année homosexuel, en particulier grâce au Festival de Cannes. Trois en films en sélection qui auront certainement marqué l’année par le traitement de leur propos, les récompenses obtenues ou les avis du public. L’Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie (Prix de la Mise en Scène – Un Certain Regard), Ma vie avec Liberace donc (Palm Dog pour l’anecdote et dont la performance de Michael Douglas fût unanimement saluée) et bientôt la Vie d’Adèle, Palme d’Or qui ne cesse de faire parler d’elle et qui se fait désirer avant sa sortie nationale. Pour revenir à Ma vie avec Liberace, si le film n’est pas exempt de défaut notamment sur son traitement narratif, il mérite cependant la vision pour deux raisons : La sortie honorable du circuit de Steven Soderbergh qui laisse un film juste à la mise en scène minimaliste mais appliquée et surtout la performance des deux acteurs qui ont, pour ma part, illuminé cette année cinéma. Un film d’une grande folie qui a le mérite d’en apprendre davantage sur ce pianiste célèbre qu’était Liberace. Quelques lectures de sa biographie vous feront regretter certains parti-pris du film mais la performance de Michael Douglas a le mérite de les cacher juste assez pour apprécier ce film comme il se doit. Comme un film au regard corrosif sur les achats exacerbés des nouveaux riches, l’American Dream, le Las Vegas superficiel et surtout sur l’homosexualité, refoulé par les américains encore à l’heure actuelle comme en témoigne l’intérêt des studios de cinéma pour ce film. Un manque de reconnaissance déplorable pour un film moins « gay » que Brokeback Mountain d’Ang Lee. Triste conclusion cinématographique pour un réalisateur qui aura marqué le cinéma américain, aussi bien par ses grosses productions (franchise Ocean’s en tête) que par ses œuvres intimistes.
Softon
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le 9 sept. 2013

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Kévin List

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