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Les influences nippo-coréennes de Mademoiselle frappent d'entrée : le mélange des langues et des esthétiques va nous parler, d'où qu'on soit, si tant est qu'on arrive à les suivre. Se donnant un avant-goût de drame historique qui se révélera souple, The Handmaiden montre vite comment il peut séduire toutes sortes d'audiences, ce qui se confirmera lorsqu'émergera la complicité entre les deux actrices Kim Min-hee et Kim Tae-ri, parfaite jusque dans son ambivalence.
De l'ambivalence, il en faudra plein car le scénario est un constant trompe-l'œil qui manipule notre empathie, se nourrissant de nos mauvaises déductions pour mieux nous surprendre par la suite. En effet, on sera d'autant plus pris au dépourvu qu'on aura comblé de vides et conclu malgré nous le pourquoi de ce qui se trame. Or on y est invité : le mystère est volatile mais bien présent, nous poussant sans cesse sur la voie de la conjecture et nous condamnant à voir ensuite à quel point on a pu se tromper.
Dans sa révélation de cet effet Koulechov adapté, Park Chan-wook nous ouvre une porte sur la magie du cinéma, dévoilant à quel point cet art peut compter sur l'implicite et sur les vides que l'esprit du spectateur remplit. À quel point a-t-on participé à écrire le scénario en inventant les parties manquantes ? En nous faisant nous questionner sur le pourquoi de nos remplissages, il dévoile aussi beaucoup sur nous-mêmes.
Mais on n'en a pas fini. Park Chan-wook doit encore dévider son film, scruter tous les vides qu'il a laissés dans le drame historique et les combler avec autre chose. Partie deux : le thriller. Gardant le drame comme point de référence, le film va devenir tout autre, et c'est si fascinant à voir qu'on va se repasser toute l'histoire une deuxième fois comme si elle était neuve.
C'est plus loin que l'idée se fane un peu. On sent venir le double plot twist, et malgré le soin expert que le film prend à se dérouler selon un troisième point de vue, on sent aussi qu'il y a un contrepoids pour éviter que l'œuvre se résume justement à deux excellents plot twists. Ce contrepoids est malheureusement constitué de quelques conventions : du criminel revisité, un genre de tension moins dissimulé… le liant n'est plus de la même nature, et semble davantage destiné à plaire (pire : à désennuyer ceux qui auraient décroché ?) qu'à construire la troisième partie.
Il me faudra un second visionnage pour apprécier The Handmaiden en connaissance de sa structure - second visionnage que je recommande aux déçus et aux sceptiques. Sans avoir besoin d'un barda innovateur, The Handmaiden construit une grammaire magique, tout en entrelacs de méchanceté et de désillusions menant lentement à un happy end dans les règles de l'art - c'est-à-dire un happy end qui se mérite, et qui ne satisfera que si l'on est entré en communion avec ce qui le précède (et, chose importante : sans y résister). Un exploit ardu à accomplir du premier coup, mais c'est normal : c'est un peu à nous d'écrire l'histoire.