Notes a bonnet:


Le film prend ses références dans le genre libertin dont Sade reste le héraut, et ces aventures libertines ne peuvent se passer qu'en haute société, où les valeurs liées au objets, aux etres sont transformées et sublimées pour mieux séparer le commun du noble : le sexe et la culture deviennent non plus des passes-temps mais des arts, puisque leur position de dominant économique leur ouvre la voie au temps libre et aux sources des arts.


D'où le caractère chatoyant et vrombissant des écrits libertins : il ne s'agit plus de décrire seulement le sexe, les pénétrations, mais de sonder et jouer dans l'empire des fantasmes. Dans le meme temps, cette recherche se recueille dans des huis-clos, des boudoirs et des manoirs séparés du monde, tels des laboratoires d'expérimentation où seuls des initiés peuvent entrer.
Pour autant, l'expérimentation de toutes les arcanes sexuelles ne peuvent se jouer qu'entre dominant: pour assouvir entièrement leur pulsions et désirs, ils doivent amener, et pour les entretenir, et pour s'inscrire comme dominant, faire rentrer dans la danse des dominés, qui n'existe que dans ce statut: des domestiques, puisque tout se joue dans les maisons.


Aussi, il faut voir l'influence que ce genre aura sur les aventures gothiques et romantiques, comme exaltation de l'expérience dans un décor qui détermine entièrement les intrigues (amoureuses, sexuelles et narratives).


Ici, l'aventure repose encore une fois dans une marge de ce genre libertin d'intérieur, où le pouvoir et la manipulation sont les contrepoints logiques des plaisirs et des passe-temps culturels. Le pouvoir se joue tant économiquement que symboliquement.


Les philosophies contractuels sont au coeur de ces intrigues: on fait des pactes, on se met en intelligence, on joue double jeu pour obtenir les faveurs sexuelles et économiques. Le pacte sexuel devient alors le modèle minimal qui nous fait comprendre les autres: si il y a affinité sexuelle, il peut y avoir une affinité économique, mais qui se délie si le lien se brise. S'il n'y a qu'affinité économique, on se trompera dès qu'on le peut pour sortir unique vainqueur. La naiveté est bannie, mais les apprarences, le jeu, la simulation et l'émulation de la naiveté devient alors une force terrible: tout est sans cesse un jeu de roles, une narration de soi et des autres, une mise-en-scène. Comme le comte n'est qu'un faux compte, enfin faux comte, il se fait aussi faussaire. Il n'est qu'un jeu de comportements, d'attitudes qui s'évanouisent et se recompose, selon le rôle qu'il doit jouer: il fait des mines, des messes basses, des rencontres de cour où il manigance. Les personnages sont des poupées, qui se revetent de parures, et des mannequins prenant des poses. Chacun met en scène et est mis en scène. Ce ne sera pas Sun Nam qui fera l'amour à Ah-Gah-Sih, mais le comte joué par Sun.


Plusieurs plans de la première partie apparaissent comme des mises-en-scène, typiques des genres, clichés, mais surtout comme des moments déterminants les changements de relation envers les uns et les autres: la scène de la lecture de la lettre, la scène du bain, les venues du "comte", mais aussi la scène d'embrassade du comte et de mademoiselle, l'annonce de la folie de la comtesse aux personnel psychiatrique.


Dans les films à twist, c'est un manque d'information ou une perspective faussée de la situation qui nous est présentée, jeu d'apparence qui nous semble cohérent et pertinent, qui se révèle une tournure manipulatrice des relations actuelles de chacun et tous. Aussi, Il faut remontrer ce qui en fait liait tout, combler les ellipses essentielles et rétablir les échos entre les apparences et la réalité la plus déterminante.
C'est là où le film peche, c'est dans son bon droit: montrer et réexpliquer que la narration personnalisé de Sunwoo (ses voix off dans la première partie en font sa partie), c'est démontrer que ce monde est celui des images et de representations qui peuvent changer, une perspective parmi d'autres. Mais aussi il alourdit le film qui twiste en devenant trop pedagogique et explicatif, redondant en fait. Le double twist devient d'ailleurs toujours prévisible une fois le premier effectué, et le premier est une gageure dans ce genre.


Dans les manoirs et palais, les maisons riches, tout est question d'organisation, d'architecture mentale: on retrouve logiquement les thèmes de la duplicité dans la présence des miroirs qui redoublent le monde de ses reflets imaginaires, et les prises de vues symétriques. Il n'en reste pas moins une mise-en-scène baroque, pleine de mouvement (la première montée vertigineuse des escaliers par Sunwoo, la faisant accéder à un monde, niveau supérieur, que la maitresse des domestiques, avec sa profondeur de champ écrasée), les plans aux compositions uni-latérales fortes.


Les chambres, salles de lectures, comme des lieux de mise en scène de roles (professeur/élève, maitresse/domestique, lecteur/spectateur, acteur/metteur-en-scène) qui redouble les oppositions originelles : maitre/esclave, où dupeur/dupé, en tout cas dominant/dominé. Notamment, le maitre et son esclave, le géniteur et sa progéniture, l'ingénu-e et l'initié, forment des couples qui se doublent (la fille puis la mère baisée dans la Philosophie du Boudoir, les échanges de couples de la comédie de tout temps avec ses serviteurs et maitres, chez Marivaux par exemple)


Chaque role dans ces relations est joué par les personnages, sauf le grand dominant : le vieux, symbole ultime de la richesse et du pouvoir, présenté soit porté soit dans sa salle de lecture, comme l'intermédiaire, le tiers exclus. Ainsi, il sera vaincu car il ne prendra jamais part complétement a ces echanges, il n'aura ni eu mademoiselle, ni tué le comte.Il est dans un monde trop sublimé, reflété par sa perversité de narrateur des fantasmes, il restera donc enfermé dans ses demandes d'histoire pour tuer ou baiser. Il mettra cependant en scène la mort de la tante, comme signe du passé de sa puissance, comme la punition de mademoiselle jeune. La violence est masculine, une violence de pénétration comme le couteau qu'utilise la comtesse pour simuler sa perte de virginité, en fait déjà réalisée dans la perte de son indépendance, assignée à résidence même si riche, sous le pouvoir de son tuteur incestueux et féminicide (la tante). C'est une violence de l'invasion, de l'unilatéralité, contrairement à la dernière scène d'amour sur un fond symétrique, où l'harmonie des deux femmes tient dans une réciprocité rituelle. La violence est celle de corps transformé en objets, en mannequins sexuels, en lectrices mettant en parole les fantasmes des vieux riches, assemblée unisexe. Mais dans cette organisation sexuelle et hierarchique de l'espace, les domestiques, comme les lectrices s'émancipent, et deviennent l'unique lieu d'où les dominants tirent leurs forces. Dialectique hégelienne.


Ainsi, le genre transforme effectivement les objets de la souffrance en objet de plaisir, et rend leur puissance réversible: les livres, signifié par le serpent comme objet de savoir puis comme écrit érotique, les billes de métal (punition puis jouet sexuel), la corde (se pendre puis corde d'élévation sexuelle), la fiole (pour fumer, puis se suicider, puis tuer et comme dernier plaisir).


Ici, cette réversibilité apparait dans les magnifiques transitions que Park-Chan Wook avait déja mis en place dans Stoker, autre source de Wentworth Miller, plus anglo-saxonne, sous l'influence d'Hitchcock et des traditions victoriennes issues des genres gothiques. On passe d'un couloir où Junko est prise par le comte à la mandatrice de sa disparition, la comtesse, puis de nouveau à la remplacante, Sunwoo, par un travelling latéral double.


Mais de manière plus générale, l'alliance des deux femmes est non seulement peu logique, tout comme la "folie" de mademoiselle, mais est pourtant le coeur de l'histoire. La scène du bain, les scènes de déshabillement, de jeu de substitution de vetements, face aux miroirs, dans la chambre, transpirent une sensualité jamais obscène et gracieuse, et assez drole, naive.


Finalement, le film est moins sérieux que ce que le genre montre habituellement, avec son happy end peu crédible, mais la tension crée par la focalisation sur Sunwoo donne la meilleure partie du film, la plus drole aussi, la seconde tout aussi linéaire ne laissant qu'un plaisir moins tendu et plus convenu.

Perferic
7
Écrit par

Créée

le 9 oct. 2016

Critique lue 1.8K fois

20 j'aime

4 commentaires

Perferic

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

20
4

D'autres avis sur Mademoiselle

Mademoiselle
Velvetman
7

Lecture sadienne et boules de geisha

Sous couvert d’un jeu de duperie où l’arnaque change constamment de propriétaire (la servante, l’héritière, le prétendant), la nouvelle œuvre de Park Chan Wook se mue en un objet filmique difficile à...

le 5 nov. 2016

127 j'aime

9

Mademoiselle
Kiwi-
9

Édulcorée(s).

Déjà reconnu pour ses incursions dans le domaine du thriller machiavélique diaboliquement érotique, Park Chan-Wook s'aventure avec « Mademoiselle » dans un film de manipulation opulent se déroulant...

le 23 mai 2016

108 j'aime

8

Mademoiselle
Behind_the_Mask
10

Une fessée s'il vous plaît

Sa beauté irradie, son charme fascine. Sa voix posée et monocorde, lors de ses lectures troublantes, ensorcelle. J'ai posé les yeux sur Mademoiselle pour immédiatement en tomber amoureux. Elle est...

le 7 déc. 2016

65 j'aime

20

Du même critique

Bad Girl
Perferic
4

Comment j'ai découvert le fluo

La simplicité de la "mise-en-scène" tient ici à un choix de minimiser le propos, mais malgré tout le réalisateur veut éblouir par la pose blasée et écorchée à vif du texte, et fait éclater de partout...

le 19 mars 2015

13 j'aime

6

Playlist
Perferic
5

Nouvelle vague à l'ame froide

Enfin du slint dans un film, et français! Le film est clairement indé, dans la mouvance nouvelle vague, cold wave, dans une ambiance molle et paisible qui restranscrit assez bien celle d'un bd indé...

le 4 juin 2021

7 j'aime

Night Call
Perferic
7

Oh Louie Louie, Oh no, you gotta shoot

Le film est bien réalisé, sans faute mais sans grand génie, le personnage est infect a souhait et la scène du diner est monumentale scénaristiquement. Mais où le bat blesse? D'abord parce que ce que...

le 2 déc. 2014

7 j'aime