Olivier débarque à Paris et retrouve son ami Mario, qu'il accompagne pour vendre des bouquins d'art en porte-à-porte. Lors de leur démarchage ils rencontrent Ariane, qui les appelle à l'aide pour un problème de plomberie. Au cours de la conversation, elle leur signale que la voisine du dessous est partie en vacances et que, par conséquent, son appartement est vide. Olivier et Mario décident de le cambrioler mais découvrent, une fois à l'intérieur, qu'il s'agit d'un espace consacré à des pratiques sadomasochistes orchestrées par Ariane, maîtresse des lieux, les deux appartements communicant par un ingénieux escalier amovible. Une relation trouble, d'amour et de pouvoir, va s'établir entre Olivier (Gérard Depardieu) et Ariane (Bulle Ogier).


Le dispositif de l'escalier insiste sur la dichotomie entre l'espace d'en haut, privé, convenable et conventionnel, salon bourgeois du domicile d'Ariane, sorte de coulisses, de loge ; et l'espace d'en bas, de travail, dissimulé, sorte de scène théâtrale, espace de jeu. Ce clivage des espaces est appuyé par la présence de deux téléphones, l'un blanc destiné aux appels personnels, l'autre noir et destiné aux appels professionnels.


Barbet Schroeder nous plonge, avec Maîtresse, dans les arcanes du milieu SM. En sus des pratiques plus fréquemment représentées (madame chevauche un homme à quatre pattes vêtu d'une robe, le suçotement d'un talon de chaussure...), on aura droit à quelques sévices montrés crûment : un homme encagoulé se fait clouer le sexe sur une planche, puis percer les tétons avec des aiguilles ; un autre (on espère que c'est un autre...) se fait écarteler ; un autre encore se fait rougir les fesses avec des lanières, une cravache, un fouet et de fines baguettes. Barbet Schroeder filme avec une distance juste, un œil clinique, froid et descriptif. Le jugement de ces pratiques n'est pas son propos. Ce ne sera pas le mien non plus, bien que cette esthétique des hommes en cagoule et vêtements de cuir, me rappelant immanquablement « La crampe » dans Pulp Fiction ou le gang d'En liberté !, m'arrache toujours un sourire. Ce qui intéresse le réalisateur, outre la monstration sur un mode documentaire de pratiques sadomasochistes peu répandues, c'est la façon dont le rapport d'Ariane avec ses soumis travaille le couple qu'elle forme avec Olivier.


Ariane n'est pas seulement, comme elle le dit à son amant, « la metteuse en scène » des fantasmes de ses clients. Elle est aussi actrice. Elle se maquille, s'habille, enfile une perruque et joue un rôle. La pièce du haut est semblable à une loge de comédienne. Bulle Ogier met l'accent sur l'artificialité des prestations d'Ariane. Peau blanchie, bleu aux paupières, lèvres framboise, perruque brune, elle joue l'actrice qui joue. Elle joue l'actrice qui, parfois, a du mal à tenir son rôle : Ariane ne peut réprimer un léger sourire en disant (voire en récitant) son texte devant un homme terrorisé. « On va lui coudre sa jolie bouche tout à l'heure...Hein ? » Olivier s'ennuie en attendant l'artiste, fait les cent pas dans le salon, s'assoit dans la loge.


La grande scène qui évoque cette théâtralisation de la sexualité a lieu dans un château où les rôles de maîtres et domestiques n'ont plus cours, inversion qui fait penser au théâtre de Marivaux (L'Île des esclaves, Le Jeu de l'amour et du hasard...) Celui qui accueille les invités, en livrée, n'est autre que le châtelain lui-même (ce qu'Olivier ne comprend que tardivement). L'orgie achevée, chacun reprend sa place et l'ordre social est rétabli.


La relation amoureuse, tout comme la relation d'Ariane à ses soumis, est une relation de pouvoir, un rapport de force. Et le secret est le cœur de l'enjeu. Dans Maîtresse, c'est celui qui en révèle le moins qui a le pouvoir. Peu après leur rencontre, Olivier et Ariane dînent au restaurant, côte-à-côte. Lui annonce la couleur : « J'ai pas vraiment d'histoire », elle renchérit : « Il faut pas me poser de question parce que, ou je mens, ou je ne réponds pas. »
Olivier, en descendant l'escalier afin d'éclaircir les rapports qui unissent maîtresse et soumis, brise à la fois le contrat entre Ariane et ses clients et l'équilibre implicite sur lequel reposait le couple. L'envahissement de l'espace professionnel d'Ariane est une conquête, une tentative de prise de pouvoir par Olivier, l'espace du haut seul étant réservé aux deux amants.
Le personnage de Gautier, homme mystérieux qui finit par obséder l'amant, incarne le dernier secret d'Ariane. La jalousie d'Olivier ne cesse de grandir jusqu'à ce qu'il apprenne qui est Gautier et le rencontre, pensant même prendre l'ascendant sur lui. Cette découverte brise une nouvelle fois la stabilité du couple, jusqu'à l'éclatement, en attendant de trouver un nouvel agencement, une ultime osmose. La séquence finale de l'amour en voiture, où lui contrôle le volant et elle les pédales, symbolise une nouvelle répartition des rôles fondée sur la complémentarité et l'égalité. L'accident et les rires du couple qui s'ensuivent indiquent à la fois la précarité et la solidité du nouvel équilibre qui a été trouvé.


Gérard Depardieu et Bulle Ogier sont pour beaucoup dans la réussite du film. Ils parviennent à faire vivre ce couple, que l'on suit avec intérêt et émotion. Lui a un jeu naturel, intense et puissant. Elle séduit par la duplicité froide qu'elle instille à son personnage, et par sa voix suave et ferme. Maîtresse vaut autant pour la réflexion sur le couple et les jeux de pouvoir qui le sous-tendent que pour son aspect documentaire sur la variété des pratiques sadomasochistes. On pourra cependant trouver cette esthétique un peu datée et reprocher au film de manquer de souffle (notamment en ce qui concerne le déroulement de l'intrigue avec Gautier).
Tout de même l'une des meilleures fictions de Barbet Schroeder que j'ai pu voir...

MonsieurPoiron
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le 19 sept. 2020

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MonsieurPoiron

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