Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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Une fois n’est pas coutume par les temps qui courent, un film est sorti avant-hier. Et pas n’importe quel film, puisqu’après 6 ans d’absence sur grand écran, David Fincher revient au cinéma avec Mank… Mais ce retour ne se fera pas en salles. Après cette longue attente, que vaut le nouveau film de David Fincher ?


Autant le dire immédiatement : Mank est un film d’avertis. Sans avoir besoin que le spectateur soit un véritable érudit en matière de cinéma hollywoodien des années 30 et 40, il perdra bien rapidement le néophyte en la matière, qui sera désorienté au milieu de toutes ces références et de tous ces noms. Car, si Mank choisit comme sujet la genèse du scénario de Citizen Kane, communément considéré comme étant l’un des plus grands films de tous les temps, il raconte surtout ce qu’était l’industrie cinématographique à l’époque, à travers le regard du scénariste.


Mank suit une structure analogue à celle de The Social Network, tout en adoptant un discours aussi cynique. On y retrouve ce rythme intense, ces dialogues profus, cette nervosité ambiante illustrant un monde où tout va vite. Alternant régulièrement scènes du présent et flashbacks, annoncés par des panneaux introductifs rappelant les indications écrites dans un scénario de film, Mank reconstruit l’histoire et raconte les événements qui ont fait passer Herman Mankiewicz du statut de scénariste de renom pour les majors, à celui d’un homme solitaire et fatigué.


Pour cela, David Fincher nous invite dans les coulisses du cinéma, que ce soit dans un bureau à échanger des idées pour élaborer un scénario, ou en discutant au milieu de décors et de technicien s’agitant en tous sens pour faire fonctionner la fabrique à rêves qu’est Hollywood. Rapidement, une fracture se crée entre les classes, avec, d’un côté, les puissants, notamment représentés par le tyrannique Louis B. Mayer et le magnat William Randolph Hearst (qui inspira notamment grandement le personnage principal de Citizen Kane), et, de l’autre, les modestes et les convaincus, notamment représentés par Mankiewicz.


Au fil du film, nous découvrons ce qui fait l’essence du scénario que l’homme est en train d’écrire : l’expérience. Citizen Kane a fonctionné en tant que film car il a été écrit sur la base d’expériences vécues, trouvant une véracité le rendant tangible et parlant au spectateur. Pas besoin de faire croire que King Kong fait 15 mètres de haut et que Mary Pickford est encore vierge à 40 ans, comme pourrait le dire Herman Mankiewicz au cours de l’une des nombreuses répliques cinglantes qu’il envoie pendant le film. Les informations et les répliques fusent dans Mank, qui refait le portrait d’une industrie cinématographique en perdition, fatiguée, autocentrée et aristocratique.


Au fur et à mesure, le spectateur voit grandir les disparités entre Herman Mankiewicz et le monde qui l’entoure. Tout est une question de gros sous, d’influence et de pouvoir, on cherche à faire du sensationnel en dépensant des millions pour donner vie à des gros monstres qui vont impressionner les spectateurs, comme le montre la scène aussi amusante que révélatrice où les scénaristes construisent et restituent sur le tas le scénario d’un futur film de monstres visant à rivaliser avec la concurrence. Cynique et désabusé, Mankiewicz se gêne rarement pour dire la vérité en face, quand ceux qui sont autour de lui se pavanent dans un monde d’illusions et ne font que mentir entre eux. De là à dire qu’il y a d’importantes similitudes entre la situation de Mankiewicz par rapport à son époque, et celle de Fincher par rapport à la sienne, il n’y a qu’un pas.


Et le constat est bien triste, avec la vision de réalisateurs qui le deviennent par opportunisme (à l’image de l’homme qui tourne les faux témoignages visant à faire de la propagande pour les républicains et qui dira juste « Ils m’ont donné la chance de réaliser » ), ou celle d’un producteur tout-puissant qui, au début du film, dira que c’est l’émotion qui importe, finissant, plus tard, par dire « Je n’ai aucune envie d’instruire notre clientèle » , confirmant la domination de cette vision mercantile et sans considération pour le spectateur.


Pour certains, Mank est à Fincher ce que Once Upon a Time in Hollywood fut pour Tarantino. Il est vrai que les deux films se rejoignent dans leur exploration des coulisses du cinéma et leur côté très référencé qui peut les rendre hermétiques à un public peu averti. Cependant, là où le film de Tarantino proposait un rêve éveillé et une issue optimiste, transformant la réalité grâce au cinéma, Mank s’avère bien plus cynique et fataliste dans son propos. Mank, c’est l’échec des convictions face au pouvoir, la vision d’un système qui emprisonne ceux qui œuvrent pour lui, les manipulant et les conformant à son mode de fonctionnement, quoi qu’ils fassent pour exprimer leur liberté.


Baignant dans un noir et blanc léché, stylisé (parfois presque trop et par moments artificiellement vieilli, et dont le choix du format Cinemascope, anachronique, peut poser question), accentuant la dimension mélancolique et désespérée du film, porté par un Gary Oldman certes peut-être trop vieux pour le rôle mais toujours resplendissant, Mank fut l’occasion pour Fincher de pousser un cri du cœur, de finir le travail de son père tout en profitant d’un cadre peu restrictif (en choisissant de faire produire et distribuer son film par Netflix) pour s’exprimer.


Brillant pour certains, clinquant pour d’autres, Mank ne fait pas l’unanimité, peut-être à cause des attentes suscitées, de sa densité parfois difficile à absorber, et de son hermétisme au grand public. Sûrement faut-il le revoir plusieurs fois, et le temps fera-t-il peut-être petit à petit son œuvre pour faire évoluer l’image film dans l’esprit des gens. Mank est tout sauf une lettre d’amour au cinéma, c’est une complainte qui se matérialise sous la forme d’une longue prise de conscience sur un monde qui chante sans cesse sa gloire, mais qui s’en est éloigné depuis longtemps.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 7 déc. 2020

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