Netflix, ou le Mank de rythme

De la même façon que je me demande ce qui a pu motiver David Fincher à appeler Reznor et Ross à la bande-son (ils ont bien dû s'ennuyer à ne faire autre chose qu'un pastiche des musiques de l'âge d'or hollywoodien, qui étouffe complètement leur style), je ne saisis pas ce que le réalisateur essaie de nous dire, de nous montrer, au travers de cette excursion sympathique mais extrêmement anecdotique dans le Hollywood des années 1930-1940. La fable est très poliment corrosive, Gary Oldman essaie d'être en lice pour un deuxième Oscar du meilleur acteur, et le tout baigne en somme dans un académisme assez ronflant, bien que de très bonne facture.

Mais la facture, parlons-en. C'est corrélé à ce que je diagnostiquerai, et la critique de FrankyFockers le démontre tout autant, comme étant le "problème Netflix".
La géante plateforme permet l'avènement du producteur cool et sympa, c'est-à-dire un producteur qui file des montagnes d'argent aux réalisateurs pour financer leurs projets, sans exercer dessus un contrôle artistique. Par conséquent, Fincher, comme Scorsese avant lui, fait un film long, sans travail du rythme, qui oublie complètement la notion de montage. Puisqu'il n'y a pas de contrainte venant du producteur, il n'y a pas de rythme, car c'est la contrainte qui force à penser le rythme. C'est une vérité bien générale : on ne travaille jamais aussi bien que dans l'urgence, condition sine qua non d'un résultat vif et percutant.
Et je pense que Netflix encourage cette a-rythmie, pour que les films se conforment à l'ethos de son public type qui a l'habitude de regarder les oeuvres de la plateforme par petits bouts, en arrêtant puis en revenant dessus par tranches de 45 minutes-1heure. Conséquemment, cela annule complètement la notion de montage et de rythme, puisque le spectateur netflixien lambda s'en moque de la totalité rythmique, il quitte et le relance à son gré, ce qu'on n'aurait évidemment pas pu faire dans une vraie salle de cinéma.

Voilà ce qui arrive quand on force à structurer les oeuvres comme des apéros dinatoires, qu'on picore çà et là à notre gré : on perd la fulgurance et l'intensité de cinéastes pourtant bien reconnus pour ça. Mank fait figure de modèle de la dérive.