Dans "L'Arabe du futur", le père de Riad Sattouf, professeur d'histoire douteux, assène quelques vérités à mesure qu'il se ré-islamise : ainsi note-t-il l'absence totale de maghrébins dans les media français. En cherchant bien, je retrouve Smain, humoriste introduit à la télévision par "Le petit théâtre de Bouvard" en même temps que Les Inconnus (il a d'ailleurs un petit rôle dans le premier film des seuls humoristes valables - avec Dupontel et Dieudonné - de la décennie suivante).


Dans les années 80, le cinéma national connaît une tendance minoritaire qui donne une visibilité (positive) à l'immigration...Noire. Venus de nos anciennes colonies ou des dom-toms, le cinéma populaire leur donne une petite place, à commencer par ce film-ci (qui sera suivi par "Black Mic Mac", lequel accumule les clichés dans un but "humoristique", ou "Romuald et Juliette", de la toujours bien pensante Coline Serreau). Pourquoi pas d'Arabes?
Et pourquoi les enfants d'Algériens sont-ils absents des media de l'époque? Après la "marche des Beurs", après "touche pas à mon pote", même les éléments les plus gentiment gauchistes de la propagande médiatique n'ont aucune volonté de les représenter. Certes, on voyait monter une génération de jeunes mecs fouteurs de merde, délinquants et racistes anti-blancs (comme l'honnête Sattouf le montre encore dans sa bédé autobiographique), dont la représentation "fidèle" pouvait poser quelques problèmes aux bien-pensants. Jeunes mal vus dont les parents avaient "libéré" l'Algérie du joug français, avaient péri dans les rues de Paris et en Algérie sous la main des militaires et de flics auxquels le pouvoir de rendre justice avait été accordé par... Le garde des sceaux Mitterrand. La France avait élu comme président le gusse qui avait lâché la bride aux tortionnaires de leurs parents! Voilà qui peut nourrir une certaine rancoeur, que l'accès exclusif aux HLM n'adoucit pas plus que le statut d"invisibles" dans les media (sans parler de l' "insertion sociale" par l' "emploi").


Alors, dans ce contexte, le premier film de Michel Blanc fait partie des oeuvres qui offrent la bonne conscience d'avoir "donné une visibilité à une minorité" en lui accordant le beau rôle - puisqu'ici les immigrés africains accueillent dans leur squat le duo de va-nu-pieds dont nous suivons les mésaventures, après qu'ils ont été mis à la rue par un hôtelier raciste et homophobe (ce qui, pour convenu que ce soit, n'est pas irréaliste). Pourtant même si le personnage de Michel Blanc trouve une compagne occasionnelle parmi eux, ils ne constituent qu'une toile de fond sans noms ni rôle particulier dans l'intrigue.
Qu'un film français (qui doit beaucoup au "Nouvel Hollywood") range ses anti-héros parmi les squatters assaillis pas la police, des années avant le They live de Carpenter, justifie-t-il une fierté chauvine (oui) ? On peut reconnaître dans cette paire de "hobos" les enfants spirituels des losers de "L'épouvantail", d'"En route vers la gloire", et plus encore le duo de "Macadam Cowboy" : Michel Blanc a su pour d'évidentes raisons commerciales conserver le personnage "fragile" auquel le grand public l'avait assimilé dans ses films avec la bande du "Splendid", en lui créant une relation de tendresse avec son partenaire, grand mâle protecteur incarné par Gérard Lanvin.
On peut dire que Blanc lui a offert un rôle en or pour tomber encore plus de minettes : respectueux envers les femmes mais animé d'une juste rage quand il le faut, fort et doux - crever la faim est son seul défaut !
Hélas, beaucoup trop de temps est consacré à sa romance avec le joli minois Sophie Duez, gloire éphémère à l'obligatoire scène seins nus, qui rend l'usage de tous les procédés d'avance rapide et de saut de chapitre bienvenus. C'était peut-être dans ces années-là le contrepoint indispensable à la véritable audace du film, la représentation d'une relation de tendresse entre deux amis mâles (et du même âge, pas de pépé pervers à l'horizon! - salut m'sieur Simon). Mais ça gâche irrémédiablement le résultat - encore et presque toujours, on se dégonfle à mi-chemin, on fait des compromis et on loupe le coche.
J'ai cru que Blanc avait su profiter de l'audace de Blier, qui lui avait donné un rôle "bisexuel" dans "Tenue de soirée" : mais le lourdingue Blier est sorti un an après. D'une certaine manière, on peut quand même reconnaître dans ce duo un peu de celui des Valseuses.


En préférant Gérard Lanvin à Thierry Lhermitte, Michel Blanc règle ses comptes avec l'ambiance hétéro-beauf de son aventure collective passée ; et malgré la continuation de son rôle de comic relief hypochondriaque et "faible", "rédime" son propre personnage des "Bronzés".


Dans un va-et-vient d'influences par-delà les frontières, le cinéma futile à destination des petits-bourgeois de la Nouvelle Vague a influencé le Nouvel Hollywood, qui a effectué un audacieux tournant vers le peuple, inspirant ce "Marche à l'ombre" où le sympathique Français fauché des années 70 (cf les Charlots) rencontre l' "immigré" au grand coeur : cependant même sous le "régime socialiste hexagonal", cela ne créa aucune tendance dans un cinéma bourgeois nombriliste instauré pour longtemps par la "Nouvelle vague". Les rares exemples de cinéma populaire qui pousse dans cette voie ne me paraissent pas engageants : "Rai" (par le gars qui avait déjà réalisé le navrant "Black mic mac"), les "Taxi"...

ChatonMarmot
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le 12 oct. 2020

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