Aujourd'hui, je suis allé voir un film qui a fait naître en moi tout un tas d'émotions. Le grand huit comme on dit, à s'émouvoir devant le regard plein de profondeur de Catherine Frot ou à rire devant sa maladresse dont l’audience se moque avec complaisance. C'est une des premières fois où je ressens une salle conquise d'avance, comme si les spectateurs venaient voir un film qu'ils allaient apprécier avant même d'en savoir le contenu. Pour certains, Catherine Frot tient là le rôle qui lui donne accès à la consécration, pour d'autres, plus réticents à son sujet, et dont je fais partie, c'est un amour grandissant qui n'est en rien démérité. Marguerite ne dépeint pas seulement le quotidien d'une cantatrice éprise d'une imposture douce-amère, elle est notre propre reflet dans la glace quand on se lève le matin, celui que l'on méprise sans savoir pourquoi, elle nous renvoie au visage nos différentes facettes et en appelle à la vérité. Marguerite est un portrait de femme somptueux et nacré d'une grandeur qui se loge dans de si petits endroits, minuscules épiphénomènes, au détour d'un sourire enfantin qui se dessine sur son visage, dans un voyage pieds nus en plein cœur du vieux Paris des années 20, lors d'un compliment qu'elle juge authentique et qui la rend vivante. C'est bien de ce mot qu'il est question dans ce film, la vie, à travers le prisme du théâtre et des faux-semblants, entre l'imposture et la réalité, entre le songe et l’âpreté du vrai.


Si j'ai autant aimé Marguerite, c'est aussi parce que le réalisateur, Xavier Giannoli, qui tente pas mal de projets plus ou moins réussis, peut se targuer d'offrir au spectateur ce qui s'appelle un moment de cinéma, et donne au spectateur de vrais moments de musiques comme des dingueries désopilantes (la scène du bar avec La Marseillaise est jouissive tant par son chant inaudible que par le choc de la petite bourgeoisie face à un événement qui sort de l'ordinaire). Et quel bien fou cela fait, de se retrouver émerveillé devant une opulence de décors de l'époque dans une si petite pièce (le début nous en met plein la vue), de s'accrocher aux visages des personnages passifs pour faire monter le malaise, de juxtaposer avec autant de talent durant tout le film la vie qu'elle s'invente et la vie qu'elle vit vraiment à travers l'illusion qu'elle se fait d'elle même. L'intelligence de la mise en scène et le côté grand-guignolesque assumé des personnages principaux nous font adhérer à ses partis pris. Là où Xavier Giannoli réussit une prouesse, c'est dans sa manière de transposer l'inhérence de ses espoirs à travers, non seulement tous les personnages principaux (à noter le scénario habilement bâti mais aussi et surtout la direction d'acteurs), mais également dans un art qui se joint à la musique et qui trouve tout son sens ici : la photographie. A travers les différentes photographies qui sont faites ou que l'héroïne observe elle-même (souvent avec une gêne évidente de se voir, comme si elle ne se reconnaissait pas), le réalisateur attache beaucoup d'importance à la fracture entre l'être et le paraître, entre son moi qu'elle veut être et son moi qui ne peut être. C'est à se demander parfois si elle-même n'est pas l’instigatrice privilégiée de cette grande mascarade, tant Catherine Frot insuffle à son personnage des dizaines de trappes secrètes dont seul le spectateur a la clé. Elle ne s'invente ni n'incarne un personnage, parce qu'en se persuadant d'être ce qu'elle n'est pas, elle est heureuse au quotidien, sans désillusions, et profite des petites joies répétitives que lui confère le chant. Certains y voient une illuminée, j'y vois la stature d'une femme indépendante, souveraine de sa propre tragédie.


Il y a certes quelques fausses notes disséminées ici et là. Une fin théâtrale un peu superflue (Black Swan vous remercie), des plans trop oppressants ou sans rapport qui dénotent avec le reste de la fable tragi-comique (le pianiste-photographe-majordome durant ses ébats, l'histoire de pédophilie), des seconds rôles qui n'apportent rien et ne font que parasiter la liaison entre le spectateur et Marguerite. Voilà bien peu de choses face au grand talent de l’actrice principale et de sa dernière scène grandiose, lorsque tous rient aux éclats de son manque de talent et du ridicule de la situation, tous sauf ceux qui la connaissent, qui savent qui elle est, à quel point elle est belle et à quel point on peut l'aimer plus que tout quand elle chante avec son cœur. C'est à ce moment précis que le film touche du doigt quelque chose d'incroyablement ténu et sincère, une ode à la tolérance, c'est à ce moment précis que l'humanité du personnage éclate aux visages de tous. Et du sien, son mari, comme elle dit, mais bien trop tard, sa chaleur humaine restera consumée pour toujours.

EvyNadler

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