Toujours curieux de découvrir les oeuvres de jeunesse des grands cinéastes, tant il est fréquent que la notoriété, l'accumulation de films, ou tout simplement la vie, leur fasse perdre une bonne partie de leur singularité : citons notamment les tristes cas de Polanski, Woody Allen, Brian de Palma, Bertrand Blier, ou, dans un registre moins artistique, Luc Besson ou Francis Veber.


On trouve déjà ici les obsessions qui fondent souvent l'identité d'un artiste : pour Scorcese, la violence et la rédemption. Le film étant basé sur ses souvenirs d'enfance, Scorcese a tenu à le situer à Little Italy, le quartier de New York où il grandit - les intérieurs, eux, ont été tournés à Los Angeles, mais toujours dans des lieux réels.


La véritable violence explose à la fin, tout comme dans Casino ou Taxi driver notamment. Durant l'essentiel du film, cette violence est proche du jeu, comme dans cette superbe scène dans la salle de billard, sommet du film selon moi. La caméra, comme dans un documentaire, semble suivre les protagonistes "au feeling". Sauf que tout est stable et fluide, c'est là l'exploit, qu'on doit au cadreur, Kent Wakeford. De Niro monte sur le billard tel un trublion, donnant une grande sensation de liberté. Mais, un peu plus tard, tout le monde se sépare en rigolant ou presque - en s'insultant, mais c'est le mode de communication dans ce milieu. Pas de sang, rien de grave, sauf lorsqu'un type se fait flinguer dans les toilettes, ce qui s'avèrera plutôt une faute de la part du gamin qui a fait le coup (les parrains décident de l'exiler).


Scorcese nous montre donc des "gosses" qui, lorsqu'ils ne se battent pas, s'en tiennent à de minables combines, draguent des filles ou vont au cinéma. Les vrais durs ? Ils se contentent de discuter dans des bars ou des restos. On sent une vraie tendresse de Scorcese pour ces petits malfrats.


Parmi lesquels se détachent deux figures, antinomiques, telles les deux faces d'une médaille.


Little Johnny est un incontrôlable, irresponsable, sanguin. Tel le fauve tenu en cage par son pote Tony, il réagit à l'instinct. De Niro et son regard fixe, son large sourire, font merveille ici. Il est le grain de sable qui va enrayer la belle amitié du gang, mais il rappelle aussi à chacun cette soif de liberté, sans compromission, qui est à la base de la vie de malfrat.


A ses côtés, lié à lui via son amoureuse Teresa, Charlie impressionne tout autant. Regard fixe lui aussi, mais celui du garçon réfléchi, qui essaie de tracer son sillon, Harvey Keitel est tout aussi enthousiasmant, distillant un charme étrange. Enfin... si l'on oublie la dimension mystique de pacotille du personnage, à la limite du ridicule quand même. Mais que voulez-vous, Scorcese a failli devenir prêtre, alors...


Entre chacun des personnages de cette bande, circule une énergie folle. Je ne suis jamais allé à New York, mais on dit qu'il y vibre une énergie plus forte que partout ailleurs. Mean Streets la fait ressentir à merveille et c'est à mes yeux l'atout principal du film - outre ces deux personnages hauts en couleur donc. D'autant que Scorcese associe toutes ces petites intrigues à une exploration quasi documentaire de Little Italy : fanfares dans les rues, images de badauds, boutiques illuminées. Ces images ancrent l'intrigue dans le réel et lui donne plus de force encore.


Quelques faiblesses tout de même, je pense à la scène au bord de la plage avec Teresa un peu gnangnan, et à la musique, envahissante à mon goût - même si je n'ignore pas qu'il s'agit d'un choix conscient et mûrement réfléchi du réalisateur : l'opéra représente les parrains, par exemple, et le règlement de compte final se fait sur fond de hard rock.


Un règlement de compte très impressionnant, avec le sang qui gicle du cou de Little Johnny, image évidemment christique.


Pas tout à fait le film que j'attendais, mais avec le recul vraiment bien.


7,5

Jduvi
7
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le 3 nov. 2019

Critique lue 142 fois

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Jduvi

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