Lars Von Trier n’est pas le cinéaste que je connaissais le mieux jusqu’ici. Hormis de réputation ou à cause de quelques frasques, il restait ce cinéaste à démystifier un jour en m’attelant à la découverte de son oeuvre. C’est maintenant chose faite avec Melancholia, l’un de ses films les plus reconnus, à juste titre.


Transposer l’intime à l’échelle de l’Univers, voilà le chemin qu’emprunte Melancholia pour transmettre ses messages. Point d’exploration de planète lointaine ni de balades à travers les étoiles, juste cette étrange planète inconnue jusqu’alors, et qui menace de percuter la Terre. Le drame est intime, et la Terre sera le premier témoin de cette explosion dramatique, où la création laisse place à la destruction. Alors que les premières minutes nous proposent un sublime enchaînement de plans au ralenti ressemblant à des peintures mouvantes, accompagnées du Tristan et Yseult de Wagner, la première partie s’ouvre finalement sur le mariage de Justine, l’une des deux sœurs autour desquelles l’intrigue s’articule.


Le ton et le style changent alors radicalement, pour se rapprocher des personnages, et rappeler, notamment, le Festen de Thomas Vinterberg, son camarade du Dogme95, autant sur la forme que sur le fond, mais s’en différenciant au niveau de l’intention. C’est l’image d’un mariage assez faste, où tous les convives sont sur leur trente-et-un, faisant tous bonne figure et arborant leur plus beau sourire. Au milieu de tout ce microcosme aussi homogène dans les tenues vestimentaires qu’il est hétérogène dans les personnalités, Justine, la mariée, au cœur de toutes les attentions. Mais le tableau, s’il est rutilant et grandiloquent, est loin d’être joyeux. Alors que c’est son heure de gloire, Justine sombre dans le doute et rejette tout ce monde, qui s’effondre devant nos yeux. La séquence du mariage de Justine opère les premières destructions, ou les premières morts représentées dans Melancholia : celles de l’amour, de la famille et de la société, avant de poursuivre l’élocution de son chant funeste à une échelle plus large. Tout ce qui promettait la création et la concorde, à travers ce mariage, la perspective d’une famille unie, etc., va finalement être le terreau d’un cataclysme sans précédent.


En s’intéressant dans la seconde partie à Claire, l’autre sœur, qui cherche à redresser Justine, à trouver l’espoir, Melancholia offre un nouveau point de vue, pour mieux avérer ses sombres présages. Car Melancholia est surtout un film d’une beauté cruelle, ou d’une cruauté magnifique, exposant le spectateur à la vision d’une destruction finale attendue, mais pourtant accompagnée d’une remise en question, d’une prise de conscience, voire d’une libération. La symbolique est d’ailleurs très prégnante avec, notamment, un plan très annonciateur au début du film, présentant Justine du côté de la mystérieuse planète bleue, Claire associée à l’astre solaire, et Leo, son fils, associé à la Lune. Justine, atteinte par la mélancolie, voire la dépression, embrasse cette destruction, voire l’incarne, devant passer par celle-ci pour trouver la libération, pendant que Claire s’attache à la lumière et à l’espoir, et que Leo se retrouve entre les deux. Cette symbolique, basée sur des forces nous surpassant largement, matérialisant nos plus grandes craintes, rappelle d’ailleurs celle utilisée par Jeff Nichols dans Take Shelter, sorti la même année, mettant également en avant un personnage en proie à des doutes existentiels, et qui est mis à l’écart par le monde qui l’entoure.


Terrible récit de fin du monde que ce Melancholia. Fin de l’amour, fin des jeux de rôles, fin de la société, fin de l’espoir. A la fin, restent l’acceptation ou le déni face à l’inéluctable. C’est la fin, et c’est pourtant très beau. Capable des plus grandes envolées esthétiques pour s’inspirer de la peinture, tout en étant également en mesure de revenir au plus près de ses personnages en évacuant tout type d’artifices, Melancholia magnifie sans dénaturer. On ne peut, également, manquer de citer les superbes prestations de Kirsten Dunst et de Charlotte Gainsbourg qui bien que soutenues par de très bons seconds rôles (notamment Kiefer Sutherland), portent le film. Un profond mal-être émane de ce film, résolument pessimiste, mais d’une beauté implacable.


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le 10 nov. 2019

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