Depuis le Seven de David Fincher, le thriller policier s'est plus ou moins formaté sur ce modèle pour ne produire qu'une infinité de films sans grande saveur, qui peinent à s'affirmer comme du grand film. Mais dans le pays du matin calme, une perle apparaît. En effet, avec Memories of Murder, son deuxième film seulement, Bong Joon-ho dynamite le thriller autant par sa mise en scène que par sa structure en strates qui repense complètement la façon de raconter une enquête policière. Le résultat est assez surprenant et influencera des grands réalisateurs tel que David Fincher lui-même, avec Zodiac.
Joon-ho nous démontre qu'il est doté d'une extrême habilité à mélanger les genres, comme c'était le cas aussi dans Barking Dog, mais là il fait encore plus fort. En partant d’un fait divers sordide, l’enquête à la poursuite du premier serial killer officiel de Corée redéfinit les codes du genre pour mieux leur faire côtoyer d’autres espaces d’expression. Ainsi la structure du film est un mélange de frustration et d'absurde. Frustation car les éléments habituels de l’enquête policière sont ici repensés, jusqu’à ne plus s’inscrire du tout dans le schéma que nous sert Hollywood depuis une dizaine d’années. Absurde car le film s'avère drôle à travers cette enquête pourtant ignoble de viols et de meurtres sur de jeunes filles. Et c’est en ça que Bon Joon-ho fait fort : il parvient à créer une ambiance que le spectateur ressent comme naturel, pour le pousser ensuite à analyser ses propres réactions instinctives. Et c’est à travers cette replongée dans l’expérience cinématographique vécue que le film dévoile finalement son cœur. Il s’agit d’un enquête mais avant tout d’un portrait au vitriol, non seulement de la police coréenne, mais de tout un pays. Car oui, Memories of Murdr est avant tout une dénonciation de l'incompétence de la police des petites villes dans les années 80, avec des agents aux méthodes peu orthodoxes d’un autre temps, responsables de violences inacceptables et dont la principale qualité était de savoir maquiller leurs dérapages. Ainsin nous sont présenté un duo de policiers qui fait très good cop/bad cop mais s’en éloigne immédiatement par leur bêtise. Très vite, Bong Joon-ho tourne en ridicule le fameux “instinct policier” véhiculé par le cinéma américain, à travers le personnage incarné par Song Kang-ho, et ce jusqu’au final extrêmement émouvant pour mettre en lumière le pathétique de la situation. Ainsi, en plus d'être une critique de la police locale, Bong Joon-ho fait aussi passer la Corée du sud pour un grand enfant incapable de s’assumer tout seul. La reconnaissance d'ADN, technologie que les coréens n'avaient pas à l'époque, doit être envoyée en Amérique qui est dès lors, leur seul et unique espoir. Et la démonstration est passionnante car elle est le fruit d’une écriture d’une finesse assez remarquable. De plus, le réalisateur prend bien soin de la qualité de ses personnages, qu’il ne va cesser de faire évoluer afin de créer l’émotion. Chaque plan, chaque scène est un changement d'état d'âme et d'esprit pour les policiers avançant lentement dans l'enquête.
Ainsi, par l’élégance de sa mise en scène, la très bonne gestion du rythme de sa narration, la construction de ses personnages jamais figés ( comme l’évolution de l’inspecteur de Séoul incarné par Kim Sang-kyeong, bouleversant dans le final ), ses moments où le temps semble s’arrêter, la richesse de son propos qui dépasse largement le cadre du thriller et son ampleur dramatique, Memories of Murder est un petit monument du cinéma sud-coréen, passé malheureusement un peu inaperçu, mais vaut son pesant d'or.