Spoil
Le regard sans mémoire. C'est par lui que débute le film lorsqu'au cours d'une belle journée, au milieu des champs dorés par les rires d'enfants, le spectateur ne s'attends pas à tomber aussi naturellement dans la nuit d'un corps occupé d'insectes fuyant les projections de lumière. C'est vrai... Notre impotent et violent enquêteur nous apparaît d'abord sérieux et sympathique. Il ordonne aux gamins de déguerpir et passe familièrement sa main dans la touffe rural de l'un d'eux. Il ne réfléchit pas. Chacun sa fonction. Il voit le corps sans vie, cela lui parait banal, comme le gosse qui le singe, et les autres qui lui ont chipé ses affaires.
Il ne se demande pas s'il s'y attendait. Pour lui c'est acquis, comme son habilité théorique à reconnaître un meurtrier. Et quand il se trompe en tabassant son futur partenaire, il s'excuse brièvement.
Des suspects, il en rencontre. Il se fait directeur de casting à la recherche d'un profil crédible pour le rôle de coupable. Il s'applique à leur infliger le souvenir de leur intolérable apparence. Les postulants doivent se fondre dans le rôle. A chaque tronche sa fonction. Forcément quand l'autre ponte de Séoul déboule avec ses airs introspectifs et ses contre-interventions inopinées, l'inspecteur Park Doo-man connait l'impatience de l'enfant roi..
L'axe du film, reste convalescent d'une Corée sans abris, au pouvoir stérilisant la pensée et la conduite. Park qui se caresse fièrement le menton lorsque, au milieu d'un chantier d'hommes masqués, il est persuadé d'avoir trouvé son coupable, d'en avoir bouché un coin à tout le monde, qu'on se souviendra de l'histoire.
L'avant dernière action est le point culminant des regards qui se confrontent, des mémoires qui se perdent... Park dans les yeux du véritable coupable... banal... pas assez fou... apprivoisé? Au fond de lui germe la honte de n'avoir aucun savoir, tandis qu'il empêche son coéquipier de tuer l'homme trop ordinaire qui s'échappe. Le minutieux Seo Tae-yoon disait toujours que les documents ne mentaient pas. Il refusa soudainement de s'y soumettre, préférant la logique organique des témoignages, réclamant le prix du sang, plutôt que l'autorité froide d'un document sans tâche, sans histoire..
La dernière action s'ouvre sur un petit déjeuner familial avec Park sondant difficilement si son fils lui ment et a utilisé l'ordinateur toute la nuit ou non, comme soudainement soumis à cet affreux doute, mais comme s'il doutait encore de ce doute, ce n'est que la scène suivante qui le confirme. Retournant sur les lieux du 1er meurtre où jadis il reniait la mémoire qui désincarne les idiots de tout âge, une écolière s'adresse à lui et lui révèle involontairement son erreur. Face à la caméra, le regard de Park bascule définitivement. L'innocence face à l'erreur que l'on explique pas d'une vérité, ça rend bête. Comme un enfant qui singe. Comme une Corée sans moyen. Comme un flic expéditif. Comme un tueur mal aimé.
Memories of Murder est thriller efficace de par sa suggestivité, distillant son implicite et maîtrisant son impact sur les spectateurs, lucide sur le degré d'imaginaire devant être maintenu dans l’énigme, insondable et double à propos d'un meurtre, concernant la disparue et le meurtrier. C'est ici un travail de composition global qui, pour éviter les poncifs, détoure chaque élément en y maitrisant les évocations, formant ainsi une cohérence puissante dans son traitement singularisant, mettant en exergue l'étrangeté du meurtre, l’ambiguïté de ces représentations, les sentiments troubles voir burlesques qu'il est capable de faire émerger jusqu'à la gravité ordinaire que semble d'abord outrepasser l'inspecteur local (complaisance, bêtise), comme le prolongement d'une dictature obscènement ignare et prétendument haute détentrice de la vérité, avant que le truchement de l'inspecteur extérieur (ouverture, intelligence) ne viennent lui enseigner le doute cuisant dont le timing prolonge l'absorption morbide, gardant les vérités monstrueuses camouflés dans le spleen d'un post-autoritarisme convalescent.