Malgré le fait qu'il soit légèrement surestimé selon moi, Jeff Nichols appartient sans aucun doute à la prochaine génération de grands réalisateurs américains. J'ai bien aimé ses précédents films, que ce soit le drame initiatique "Mud" ou encore l'étrange et perturbant "Take Shelter", et ces deux films plaçaient déjà un décor, une ambiance propre au réalisateur : une recherche du réalisme, une certaine aspiration à la contemplation (ce que beaucoup de personnes ont très vite, et pas forcément à raison, identifié à du Malick), les paysages de l'Amérique profonde, un rythme plus lent, une certaine tension ambiante... Avec "Midnight Spécial", Nichols change de genre et s'attaque donc à la science-fiction et il le fait avec intelligence en arrivant à se renouveler tout en respectant les codes et les thèmes qu'il a développés dans sa courte filmographie. Le réalisateur parvient donc à rendre un hommage appuyé à un tas de références majeures de la S-F (Spielberg et ses "Rencontres du troisième type", Stephen King) et les croisent avec des thèmes qui lui sont cher (les couples en crise, la paternité...). Mais le résultat est inégal et n'évite pas certains défauts.


On a une histoire simple mais très intrigante, celle d'un enfant doté de dons paranormaux (le jeune mais déjà talentueux Jaeden Lieberher) qui est kidnappé par son propre père (le toujours impeccable Michael Shannon) et un policier (excellent Joel Edgerton) qui veulent l'arracher de l'emprise d'une secte. Le scénario est en effet assez minimaliste et reste très concentré sur l'intrigue : on ne nous donne pas beaucoup d'explications sur le passé des personnages (dont on ne saura pas vraiment plus à la fin) et il n'y a pas beaucoup de dialogues. En fait le film est davantage une longue course poursuite entrecoupée d'éléments de science-fiction : le groupe est en effet poursuivi par des membres de la secte mais également par la police et bientôt l'armée. En parallèle de cette situation stressante, l'enfant et ses inquiétantes "crises" sont aussi une source de problèmes. Le rythme du film est rapide et efficace, sans fioritures; il est rare de voir de nos jours un film collant à ce point à son histoire, le scénario étant particulièrement habile sur ce point là. Il faut souligner aussi l'efficacité du montage et du découpage, qui tiennent le spectateur en haleine dès les premiers plans. La première heure est effectivement excellente et le spectateur, un peu perdu, se laisse porter par un récit qui ménage ses effets. Le long-métrage prend également le parti de montrer assez peu l'enfant ainsi que ses pouvoirs et de réduire au strict minimum les scènes d'action. La musique est excellente, intrigante et haletante, a l'image du film (le thème récurrent est un petit bijou). La photographie et l'éclairage sont superbes, ce qui donne lieu à de magnifiques plans. La mise en scène est par ailleurs très bonne, la caméra de Nichols étant aussi habile dans les scènes de tension et d'action que dans les scènes contemplatives, avec quelque fois des angles de caméra vraiment intéressants et qui supposent une réelle recherche. On a droit à de soudaines scènes de tensions certes un peu trop rares mais savamment dosées au long du film et qui a chaque fois m'ont réellement impressionné, comme cette terrifiante chute de météorites, la soudaine agression devant le motel ou encore la course poursuite finale. Cette facilité et cette aisance à manier la tension et à offrir des scènes impressionnantes avec pas grand chose est un très bon point à mettre au crédit de Jeff Nichols tout d'abord parce que c'est quelque chose qu'il n'avait jamais fait dans ses précédents films, puis car les scènes que j'ai citées auparavant supposent un réel travail d'ambiance et de rythme et qu'elles réussissent à faire basculer une situation et à choquer les spectateurs qui, tout comme les personnages que l'on suit, sont déboussolés, ne comprennent pas comment et pourquoi ces choses arrivent; on passe d'un instant de calme et de paix à une scène violente sans que le réalisateur ne prenne de gants. Et cette sensation de réalisme, cette ambiance finalement assez sombre, est aussi rendu possible grâce aux excellents effets de lumière et aux surprenants effets spéciaux qui aident vraiment à la réussite du film et étonnent par leurs qualités, surtout quand on sait que le film "n'a coûté que" 18 millions de dollars (ce qui est un budget très bas pour un film de S-F). À noter que le talent de Nichols est aussi de réussir à créer des émotions, à émouvoir le spectateur, malgré une ambiance et un cadre plutôt froid : c'était le cas avec Mud ou Take Shelter et c'est toujours le cas avec ce film.


Malgré ses nombreuses qualités, le film a des défauts certes mineurs mais qui m'ont légèrement interpellés durant mon visionnage comme par exemple le personnage d'Adam Driver qui, au final, ne sert à rien (sans parler de l'apparition-éclair de Sam Shepard). Même chose pour Kristen Dunst qui, même si elle arrive à rester convaincante, n'est pas aidée par un personnage secondaire assez ennuyant n'ayant que peu d'impact sur le film vù que ce dernier se focalise davantage sur la relation entre un père et son fils, délaissant quelque peu la mère (même si c'est elle qui accompagne l'enfant à la fin). Il y a également une scène se déroulant dans une grotte qui (je ne sais pas vraiment pourquoi) m'a pas mal irrité, peut-être car elle semblait s'éternisait et qu'on était dans le noir, ce qui fait que l'on ne voyait pas grand chose.
La deuxième heure du film va également un peu à l'encontre de ce qui a été bâti dans la première en matière de rythme (notamment dans les scènes d'interrogation de l'enfant par le FBI, qui m'ont parues assez laborieuses) mais il se rattrape avec ses 20 dernières minutes, qui m'ont littéralement scotchées. Un autre défaut est dû à l'agencement du scénario qui fait quelques choix maladroits selon moi. Tout d'abord, j'ai trouvé que le film n'arrivait pas à s'assumer réellement en ce qui concerne toute la scène finale avec la rencontre entre Alton et les "êtres de lumière" car d'un coté ça bascule de façon trop soudaine et maladroite dans la S-F pure et dure (en parasitant par la même occasion l'émotion qu'aurait du procurer la scène) et de l'autre côté, si il avait fallu à tout prix partir dans de la pure S-F, j'aurais paradoxalement préféré que le film aille plus loin. C'est à dire que le film n'arrive pas à m'émerveiller avec cette scène qui décide de ne pas rester dans la sobriété initiale du film mais en même temps ne choisit pas de basculer complètement dans le surnaturel, ce qui place la scène et le spectateur le cul entre deux chaises (mais ce n'est que mon opinion). Un autre problème est peut-être le côté trop Spielblergien du film qui lui aura valu des premières critiques un peu trop dithyrambiques parlant d'un film qui réinventerait la science-fiction et qui décrivaient justement Nichols comme "l'héritier de Spielberg" et je trouve qu'au final ces critiques n'aident pas beaucoup le film car elles peuvent induire en erreur sur son contenu car non, "Midnight Special" ne réinvente pas la S-F malgré sa relative originalité et non, Nichols ne peut pas être considéré pour le moment comme l'héritier de Spielberg car il a encore besoin de faire ses preuves et que son cinéma, même si ils fortement influencé par celui de Spielberg, n'y ressemble pas tant que ça au final. Un dernier problème pour moi serait l'absence d' explications sur plusieurs sujets (dont la fin). Certes, cela peut être un parti-pris intéressant qui permet au spectateur de développer ses propres interprétations mais je pense que j'aurais quand même préféré avoir davantage d'indice ou de pistes pour pouvoir apprécier encore plus le film.


Et je passe maintenant à une petite analyse détaillée de ma vision de certains éléments du film. Tout d'abord, j'ai noté une prédominance de la couleur bleue tout au long du film, que ce soit l'éclairage de certaines pièces, la lumière que projette les yeux d'Anton, la couleur de certains murs ou des vêtements qu'ils portent... À ce propos, j'ai eu l'impression que la mise en scène accentuait surtout cette couleur sur les personnages en fuite en filmant leurs visages en gros plan pour faire ressortir le bleu de leurs yeux de manière à ce qu'on le remarque. C'est également le cas avec la mère, le père et leur fils car ils sont toujours habillés en bleus et c'est particulièrement voyant dans la scène ou ils se disent adieu et s'enlacent car le fait qu'ils soient tous habillés en bleu dans cette scène montre l'unité entre eux, comme si ils ne formaient qu'un seul tout uni, et c'est par ce genre de détails que Nichols me prouve son talent, en arrivant à créer de l'émotion et un sentiment fort sans aucune parole, juste à travers un plan. Il y a également de nombreuses références amusantes à la S-F, que ce soit en convoquant Spielberg et ses "Rencontres du Troisième Type" ou encore en rendant hommage à Superman. Le film explore également le thème de l'amour entre un père et son fils mais aussi celui du regard d'un "être venu d'ailleurs" et son rapport à notre monde. Je finirais par mon analyse de la fin.


Je pense que les références à Superman ne sont pas si innocentes que cela. En effet je pense que dès le départ, Roy (le père) et sa femme sont également un de ces "autres" et que leur objectif à toujours été de remettre leur fils à leur ancienne "communauté" (les êtres de lumière) car c'est ce qui est le mieux pour lui selon eux. J'ai été orienté vers cette théorie par certains indices : les regards que lancent Roy à Anton, le fait que Roy (contrairement à tous) n'ait pas l'air étonné par la cité des extraterrestres qui apparaît dans le ciel... Cela expliquerait également la dernière scène du film où l'on voit que Roy à les yeux qui brillent de la même façon que son fils : il serait doté des mêmes capacités que lui et c'est pour ça qu'il a l'air de si bien savoir ce qu'il faut faire. Cette explication donnerait un autre sens au film, une dimension assez émouvante et tragique car cela illustrerait encore mieux la notion de sacrifice du père pour son fils.


"Midnight Special" est donc un très bon film qui arrive à insuffler de l'émotion et du spectaculaire tout en restant dans la sobriété et le mystère permanent, démontrant une nouvelle fois l'étendue du talent de Jeff Nichols. Inférieur à ses nombreuses références et légèrement desservi par sa narration un peu trop classique, il développe malgré ses défauts une approche plutôt originale et plaisante de la S-F, porté par un Michael Shannon toujours impeccable. Personnellement, je dois avouer que le film ne m'a pas marqué, ce qui ne change rien au fait que ce soit un très bon film bourré de qualités et que je vous recommande chaudement.


P.S : Je vous (ré)invite à aller découvrir NoCiné, podcast sur le cinéma qui propose des critiques cinéma très intéressantes que j'attend avec impatience chaque semaine et que j'adore écouter (même quand leurs avis diffèrent totalement du mien). Et cette émission a développé le concept (que j'adore) des recommandations en fin de critique. Donc, comme Nociné, je vous propose non pas une mais deux recommandations.
Si vous avez aimé "Midnight Special" , je vous conseille d’aller découvrir le reste de la filmographie courte mais déjà très intéressante de Jeff NIchols et en particulier l'excellent "Take Shelter" sorti en 2011 avec encore Shannon mais aussi la superbe Jessica Chastain et qui suit, en restant toujours dans la retenue et l'émotion, l’histoire d'un père de famille hanté par des visions de fin de monde.
Sinon, pour celles et ceux qui se seraient ennuyés devant "Midnight Special", je vous recommande un film de S-F d'un autre registre qui est "Super 8" de JJ Abrams, sorti également en 2011, et qui malgré des défauts de scénario et de rythme reste un divertissement spectaculaire et très plaisant qui pour le coup se rapproche vraiment de Spielberg, suivant une bande d'ados faisant face à une invasion d’origine non-terrestre dans leur ville.


Voilà, n'hésitez pas à aimer la critique si elle vous a plu ou à laisser un commentaire si vous avez une remarque :)


-Le lien de la critique de "Midnight Special" par NoCiné :
https://www.youtube.com/watch?v=3rS4Amd987w


-Le lien soundclound et youtube de l'émission si voulez découvrir toutes leurs autres critiques:
https://soundcloud.com/nocine
https://www.youtube.com/channel/UC38YBAhVBEDRmXSe1uCyNxg/videos

JimmyGlass
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le 15 juin 2016

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JimmyGlass

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