Et les larmes coulèrent sans pouvoir s'arrêter

Je déteste être déçu par un film que j'attendais impatiemment (Aloha et Prometheus par exemple, ou dans une moindre mesure Triple 9 récemment) mais j'adore être surpris par un film qui ne m'attirais pas ou qui n'avait pas l'air intéressant de prime abord. En l'occurrence ce fut le cas avec ce DTV, "Camp X-Ray" (ou "The Guard" en France, qui est un bien plus mauvais titre selon moi) réalisé par Peter Sattler dont c'est le premier long-métrage.

La bande-annonce et le synopsis faisaient un peu peur quant au contenu du long-métrage et je pensais que ce serait soit un film à la gloire des soldats américains combattants bravement de méchants arabes, soit au contraire un réquisitoire contre l'armée américaine torturant de pauvres innocents. Au final, ce n'est ni l'un ni l'autre, et c'est pas plus mal. En effet le film évite le manichéisme et le pathos avec justesse (en ce qui concerne les deux personnages principaux en tout cas).

Mêlant drame et film de prison avec des touches d'humour, le film réussit à passionner sans véritables scènes d'actions ou de suspense. Tout le film se base sur la relation d'amitié (ou d'amour platonique plutôt) qui se développe entre Amy et Ali ( une soldate gardienne de prison et un des détenus qu'elle doit gérer) et sur le décor de la prison de Guantanamo. Sur ce point, le long-métrage m'aura un peu déçu car Guantanamo n'arrive jamais à dépasser le stade de décor et à s'affirmer comme un personnage à part entière de l'histoire, ce que d'autres films avaient réussis à faire en rendant l'univers carcéral vivant et menaçant.
La mise en scène, même si elle reste trop sage, est intéressante; la caméra accompagne les évolutions des relations entre les deux personnages et arrive à instaurer un sentiment de claustrophobie et de solitude. Au passage, on retiendra donc le nom de Peter Sattler qui, malgré une certaine rigidité dans sa réalisation, fait preuve d'une bonne maîtrise de la caméra pour sn premier long-métrage et arrive à rythmer un film qui aurait pu s'essouffler très vite. Le cadrage est également très bon car il parvient à montrer l'enfermement physique et psychologique des personnages, avec des plans très serrés ou au contraires trop larges, et montre également l'impossibilité pour les deux personnages de vraiment se retrouver en les filmant toujours séparés par une porte ou une grille. La bande originale est discrètement agréable et l'on retiendra surtout la dernière chanson utilisée pour la fin, dont la mélodie et les paroles sont bouleversantes et collent très bien au propos du film. Le scenario, quant à lui, est certes assez banal et maladroit (on se fout pas mal de tous les autres prisonniers, dépeints comme des fanatiques plutôt débiles et misogynes) mais reste émouvant et juste dans son ensemble (j'ai par exemple trouver la référence à Harry Potter très bien placée et quand on a lu les livres, on comprend aisément la colère d'Ali a ne pas pouvoir lire le dernier tome) et parvient à transmettre des émotions aux spectateurs.

Je voudrais également parler du fait que le film ne prend jamais vraiment parti pour un camp ou un autre. Il dénonce bien-sûr les techniques inhumaines utilisés par les soldats à Guantanamo mais ne tombe pas dans la violence outrancière. Il dépeint un univers carcéral difficile à vivre pour les "détenus", mais également pour les guardiens. Tout n'est pas blanc ou noir, le film garde une part d'ambiguïté notamment pour le personnage d'Ali qui malgré le fait qu'il se dise innocent aura été arrêté dans des circonstances étranges au départ (il regardait une chaîne de télévision rediffusant des images de l'attentat du 11 Septembre et avait une dizaine de téléphones alignés sur sa table à manger) qui me font penser qu'il n'est peut-être pas aussi innocent que ce qu'il dit. Il est également drôle et calme tout comme il peut être insultant et dangereusement violent. Mais voilà, le propos du film n'est pas la, il ne cherche pas à condamner qui que ce soit. Le film n'est donc pas du tout politique (ou très peu) et même si l'on apprend des choses sur Guantanamo, il se focalise sur le développement de la relation entre deux êtres humains, avec toute la simplicité mais également toute la complexité que ça implique.

Il faut également noter l'excellence des deux acteurs principaux : Peyman Moaadi est excellent, très émouvant dans certaines scènes, effrayant dans d'autres. Voilà un immense acteur que je ne connaissais pas et dont le talent mériterait une plus large exposition. Et bien sûr il y a Kristen Stewart qui est également excellente et émouvante dans le rôle d'un personnage perdu en pleine crise existentielle (qui ne sait pas quoi faire de sa vie mais veut faire de grandes choses), qui est courageuse mais qui ne semble pas fait pour le monde de l'armée et de la prison au vu de ses valeurs, un personnage dont on ne sait pas grand chose au final mais qui est tellement bien interprétée que sa fragilité m'a profondément ému. C'est vraiment une très bonne actrice, à la beauté singulière qui sied a de nombreux registres de rôles, et je ne comprend pas qu'on puisse encore critiquer la qualité de son jeu. Les seconds rôles sont plutôt en retrait mais ne déméritent pas (John Caroll Lynch ou Lane Garrison).

Alors certes le film a des défauts; il n'évite pas certains clichés (les personnages du commandant ou du camarade d'Amy sont quand même assez basiques et énervants) et traîne un peu en longueurs (le film aurait peut-être mérité à être réduit d'une bonne demi-heure). Mais c'est le style du film, il est lent, réfléchi, presque contemplatif. Et paradoxalement, je regrette quand même que la relation entre Ali et Amy ne soit pas encore davantage développée. Certaines répliques sont également assez mauvaises (trop patriotiques ou simplistes) et on peut également regretter que la tension ressentie au début du film ne soit pas plus présente et que la violence ambiante qu'on ressent dans la prison n'explose jamais. Le scénario n'innove pas et reste assez basique dans son déroulement, tout comme la mise en scène ou la photographie.
Mais ces défauts ne retirent en rien à la qualité de ce film, et rien que les 20 dernières minutes valent à elles seules le visionnage, ces 20 minutes d'une justesse et d'une tristesse qui ont fait couler des larmes sur mes joues, des larmes qui coulaient sans pouvoir s'arrêter. Et je précise que je ne suis pas un grand sentimental mais il y a un je-ne-sais-quoi qui m'a vraiment bouleversé. Et là je préviens que je vais spoiler donc attention car certains parlaient de naïveté notamment pour la fin et je ne suis pas d'accord.

C'est un fin juste, logique mais d'une grande mélancolie, qui ne tombe pas dans le désespoir mais qui se trouve très loin du happy-ending attendu (et qu'au fond de moi j'espérais honteusement, moi qui déteste les fins à l'eau de rose).

J'ai vraiment beaucoup aimé ce "Camp X-Ray" et je ne comprend pas qu'il soit si peu connu. Alors je lui mets un 8 car même si ce n'est pas parfait et que ce n'est pas le film le plus passionnant que j'ai pu voir, c'est un film magnifique sur une relation impossible. Un film simple mais bouleversant qui mériterait d'être connu par le plus grand nombre et qui donne à voir un personnage féminin fort et à lequel on s'attache vite. Un film qui a notre époque de comédie grasse, d'ultra violence et de blockbusters est peut-être plus osé qu'on ne le croit. Un film qui, n'en déplaise à ses plus fervents détracteurs, est une autre preuve du talent immense de Kristen Stewart (dont je suis décidément tombé amoureux) et m'a fait découvrir celui tout aussi grand de Peyman Moaadi. Un film humaniste qui m'aura donc ému jusqu'aux larmes et que je conseille à tous.