Je ne sais franchement pas quoi penser de ce film car j'ai beau avoir cogité, tenter d'analyser la chose ou même de m'informer sur les intentions du réalisateur, je n'arrive toujours pas à comprendre quel est le but ou la portée de ce long-métrage. Ce qui est bien avec Winding Refn, c'est que ses films ne me laissent jamais indifférent : j'ai beaucoup aimé "Drive" et "Pusher", moyennement apprécié "Bronson" et détesté "Only God Forgives". Et n'en déplaisent à ses plus fervents détracteurs mais le mec a une patte artistique, des obsessions récurrentes dans sa filmographie, un style a part. Je ne dis pas que tout ce qu'il fait est bon ou même intéressant, mais il faut avouer qu'il a le mérite d'essayer de faire des choses différentes, que ce soit au niveau de la mise en scène ou de la narration. Mais encore faut-il une base solide (un scenario intéressant, une B-O marquante...) et c'est justement à ce niveau que ce film pose problème selon moi.


"Valhalla Rising" suit donc un guerrier borgne nommé One-Eye (Mads Mikkelsen) qui, après avoir tué ceux qui le retenait en esclavage, s'embarque avec des vikings et un jeune garçon qu'il a sauvé dans une traversée funeste vers la terre sainte. Comme d'habitude avec Refn, le synopsis est court et avare en informations. Mais il avait déjà réussi à développer quelque chose d'intéressant à partir d'histoires basiques ("Pusher") ou à surprendre son public en se détachant du genre dans lequel son film semblait s'inscrire ("Bronson" par exemple). Ces films ne plaisent pas à tout le monde, loin de là, et c'est tout à fait compréhensible, mais ils ont quelque chose à dire et du moins réussissent à mêler une recherche visuelle avec une histoire un tant soit peu prenante (ce qui n'est pas le cas ici).


Donc oui, visuellement, "Valhalla Rising" est une nouvelle (et vraie) claque esthétique, encore plus que ne l'était "Drive". Refn installe une ambiance hypnotique, immersive et c'est cette ambiance (et ce travail de l'image) qui m'ont permis de rester devant mon écran jusqu'à la fin malgré tous les défauts du film, cette ambiance pesante et étrange qui rapprocherait plus le film à un mauvais cauchemar éveillé sous acides ou à une odyssée S-F (ou un mélange des deux). Les paysages (décors naturel oblige) sont magnifiques et évoluent au fur et à mesure de l'intrigue, ils font parti du récit. Il y a également un énorme travail qui est fait sur l'éclairage du film, sur les couleurs. J'ai par exemple noté que la "terre sainte" où se déroule toute la deuxième partie du long-métrage est éclairée de différentes façons, et à chaque fois ces nuances connotent une situation, les sentiments des personnages : quand le groupe débarque en pensant être arrivé à bon port, toute la scène est alors éclairée d'une lumière dorée surnaturelle (métaphore possible du paradis) mais au fur et à mesure que les problèmes arrivent, l'éclairage change et le ciel (et par la même occasion toute la scène) s'assombrit, montrant un paradis se transformant en enfer. Refn a également une obsession pour la couleur rouge dans tous ces films et celui-ci ne déroge pas à la règle, avec les séquences oniriques ou encore la scène du bateau qui sont entièrement montées avec un filtre rouge. Les sons et la musique ont également été traités avec soin, avec des sonorités naturelles mêlées à une sorte de dark-éléctro inquiétante et alarmante et cette B.O. participe à immerger le spectateur dans l'expérience qui lui est proposé. J'ai également beaucoup aimé la gestion des combats (nerveux, rapides, violents) même si ils sont trop rares.
Le réalisateur danois a donc des idées intéressantes dans l'ensemble même si sa mise en scène n'est pas, selon moi, aussi originale que ce que l'on pense : la caméra filme ce qu'il faut filmer et le fait de façon plutôt banale et bizarrement c'est justement quand il tente des mouvements de caméra plus complexes que sa mise en scène me paraît bancale (par exemple l'utilisation de trop nombreux ralentis pas forcément nécessaires et pas forcément bien gérés, ce qui donne un rendu assez moche dans certaines scènes). Mais en dehors de ça, l'aspect visuel du film est indéniablement fascinant. Donc le tout est très joli, étrange et original, mais cela ne suffit pas à faire un bon film selon moi car on ne peut pas travailler la forme en négligeant complètement le fond.


En temps normal, cela ne me dérange pas de suivre des personnages dont on ne sait rien ou presque mais il faut qu'ils soient attachants ou du moins qu'ils présentent des enjeux. Le "guerrier silencieux" du titre n'est absolument pas développé, n'est en rien attachant et ne parle pas (ce n'est pas juste un taiseux comme le personnage de "Drive" mais un vrai muet, c'est-à-dire qu'il ne décrochera pas un mot ou un son de tout le film). Les autres personnages sont quasiment aussi mutiques que lui et quand ils daignent ouvrir la bouche, et bah c'est souvent incompréhensible ou ennuyant (des allusions religieuses, des phrases qui se répètent). Les acteurs sont bons mais vite oubliables et même l'excellent Mads Mikkelsen ne m'a pas vraiment convaincu. Le scénario pose également problème, car il faut bien l'avouer mais la vérité c'est que le film n'a pas grand chose à dire au final. Il n'y a pas de réelle volonté de réalisme historique, pas de développement des personnages, pas d'enjeux... Les incohérences sont injustement justifiées par le style du film, et j'avoue que je ressens un sentiment de lassitude a l'égard des films de NWR car quand on s'est tapé "Valhalla Rising", "Drive", "Only God Forgives" et "Bronson" à la suite, on remarque que le réalisateur raconte souvent la même chose ou du moins qu'il adopte un schéma similaire à tous ses films : des personnages qui ne parlent pas, une musique électro, des ralentis, des plans contemplatifs, un montage épileptique, des néons, des fins qui n'ont pas réellement de sens à mes yeux, du malsain et bien-sûr des soudains relents d'ultra-violence. En ce qui concerne la structure narrative du long-métrage, était-ce nécessaire d'insérer des plans de paysages et de rêves toutes les dix minutes ? La scène de viol avait-elle un sens où elle était la dans l'unique but de choquer un peu plus ? Et prenons ensuite la violence du film: comme dans tout bon Winding Refn, elle est froide, sale, soudaine et prend des proportions exagérées. Et c'est bien beau de nous montrer une cervelle sortant d'un crâne ou notre joyeux Mads arrachant allègrement des tripes à mains nues du ventre d'un des pauvres bougres ayant osé se mettre en travers de son chemin, mais ces scènes ont-elles un sens ? De plus elles ne sont même pas esthétiquement belles comme dans "Drive" ou même "Bronson" (oui je cite beaucoup ces deux films), donc qu'est-ce qu'elles prouvent au fond ? Et Nicolas, il y a une raison au fait que tes personnages soient tous muets ? Tu as dis dans une interview avoir été inspiré par les vieux westerns et leurs personnages taiseux, passant d'une ville à l'autre régler des problèmes sans que l'on sache pourquoi, ces justiciers solitaires et peu bavards. Certes cela peut être une inspiration pour un film, voire deux. Mais en faire un leitmotiv pour toute une filmographie, ce n'est pas excessif ? Ne trouves-tu pas qu'il serait temps de sérieusement se réinventer ? Et un montage et découpage tellement épileptique était-il nécessaire ?


On sent de multiples influences sur les épaules du long-métrage ("Apocalypse Now", "2001", Malick...) mais il n'arrive jamais à les dépasser. Par exemple quand le film fait de longs plans contemplatifs à la Malick, j'interprète plus ça comme de l'égocentrisme qu'autre chose. En ce qui concerne le symbolisme qu'imprègne Refn à son film, oui je l'ai vu, ou en tout cas je pense avoir compris ses principales idées. Toutes ces notions sur la religion, le péché, la violence de l'Homme (thème également exploité par Kubrick, mais de façon plus habile), la rédemption... Je pense que beaucoup de personnes vont passer à côté des messages inclus dans le film car le réalisateur les mêle de façon un peu trop brouillonne. Et même en voyant ces messages, il y aurait des chances pour que ça ne l'atteigne pas, comme dans mon cas par exemple. Le personnage du borgne représentant Odin,la traversée en barque évoquent sûrement la traversée du Styx vers l'Enfer... Même le titre du film est purement symbolique. Donc ok tout cela prouve une certaine recherche et une assez bonne connaissance du sujet mais cela reste assez superficiel et peu concret, je suis désolé, et j'avoue n'avoir ressenti qu'un ennui poli devant ces scènes, rien de plus. J'aime bien le symbolisme quand il est inclus à quelque chose d'autre, quand il a quelque chose d'intéressant à nous dire. Mais ici, il y a plus de recherche dans le symbolisme que dans le scénario, et ce que veut nous montrer Refn n'est pas vraiment intéressant car il n'a pas de vrai messages à transmettre. En fait j'ai un peu l'impression qu'il filme un peu ce qui lui plait et ce qu'il a envie de filmer sans réfléchir au pourquoi du comment ces scènes devraient être incluses au montage final. Cela donne donc un film assez vain, exceptionnel visuellement parce que Winding Refn maîtrise sans conteste son travail sur l'image, mais tout de même vain.
Refn a également dit que ce qui l'intéressait le plus dans cette histoire était la découverte de l'Amérique (plus précisément du Canada si je ne m'abuse) et qu'il ne voulait pas faire un simple film de vikings. Soit. Mais malheureusement je n'ai pas du tout vu cet aspect pendant le film. A noter que la fin, encore tout en symbolisme, est décevante et que le long-métrage donne un mauvais regard sur la gent féminine, ici montrées comme des trophées de guerre entassées dans un coin, nues et sales. Alors oui c'est surement encore du symbolisme mais ce n’était pas obligatoire ou même nécessaire de montrer ce plan (ou dans tous les cas je n'en vois pas l'utilité).


Voila, cela ne servirait à rien de s'éterniser sur ce sujet donc non, "Valhalla Rising" n'est pas un très bon film selon moi (trop froid, abstrait et creux) et non, je ne vous le conseille pas forcément même si cela peut être une expérience intéressante. Les fans de NWR vont sûrement se régaler mais désolé, ce n'est pas ma came. Pour autant, je ne dénigre pas le film et ses qualités visuelles et peut-être qu'un re-visionnage du long-métrage dans des circonstances plus favorables me permettra de mieux l’apprécier, sait-on jamais. Et je précise que je ne crache pas sur Winding Refn, j'ai même hâte de voir "The Neon Demon" pour voir si et comment il évolue. En tout ces, j'espère que ma critique vous aura plu et n’hésitez pas à postez des commentaires si vous avez des avis différents du mien ou si vous avez des interprétations sur le film, et notamment sur sa fin :)

JimmyGlass
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le 19 juil. 2016

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