Ça va bientôt faire un an que j’ai vu « Hérédité » du même Ari Aster et je n’ai toujours rien écrit à son sujet. Pas que je n’ai pas aimé – bien au contraire – c’est juste que j’ai senti que j’avais besoin de le digérer.


Eh bah – je vous le donne dans le mille – c’est clairement ce que je ressens également à la sortie de ce « Midsommar ».
Même plaisir. Même sensation. Et même paralysie verbale au sortir de tout ça.


Et c’est vrai que, d’un certain point de vue, je devrais peut-être me satisfaire de cette situation. Parce qu’après tout, n’est-ce pas la quintessence même d’une œuvre d’art que de ne savoir parler qu’au travers de ses propres outils ?
« Midsommar » ça se voit. Ça se confronte. Ça s’expérimente.
Car, au fond, les mots ne sont pas opérants sur des films comme celui-là.


Cependant, d’un autre point de vue, chercher à fuir le commentaire, c’est aussi vouloir fuir l’exercice d’une analyse. Car après tout, quand on parle sur un film, ce n’est pas le film qu’on cherche à transformer et travestir en mots, mais bien plutôt son propre ressenti. Son approche de la chose.
Or – vous me connaissez – bavard comme je suis avec mon clavier – j’entends bien me risquer malgré tout à parler de mon ressenti de ce « Midsommar » quitte à devoir peiner un peu.
(Voire grandement.)


Or, si je devais caresser ce que fut pour moi « Midsommar », je dirais d’abord que – comme « Hérédité » – il fut une séduction sensorielle.
Ari Aster est doué. Il sait poser un cadre. Jouer avec la lumière et les reflets. Il adore mettre des miroirs un peu partout pour enrichir sans cesse son image. Pour que des détails nous échappent forcément. Et surtout pour nous prendre en traitre comme il aime si bien le faire. Le coup du reflet menaçant qui apparait derrière le protagoniste en danger, c’est quelque-chose qu’on a déjà fait cent fois et qu’Ari Aster fait à plusieurs reprises dans ce film.
Mais bon, il le fait si bien. Donc comment lui reprocher ?...


Dans la foulée de cette première idée, je dirais aussi que « Midsommar » c’est une lente descente aux enfers programmée.
Personnellement, sitôt avait-on mis le pied en Suède au sein de cette communauté « du temple solaire » que j’avais déjà tout en tête.
A chaque élément amené, de la rencontre des autres voyageurs anglais à l’ours dans sa cage en passant par le temple interdit, je me suis dit : « OK, je vois très bien ce qu’il va se passer. »
Le déroulement de l’intrigue m’a donné raison. Aucune surprise donc. Et pourtant ça ne m’a posé aucun problème.
Parce que les films d’Ari Aster sont ainsi faits.
On sait qu’il est vain de lutter.
On sait qu’à peine se retrouve-t-on dedans qu’il est déjà trop tard.
Le simple fait d’avoir accepté de voir ça est déjà en soi un acte irréversible ; presque d’acceptation pleinement consentie à se laisser avaler par les abimes.


Et ce serait d’ailleurs le dernier point que je retiendrais de ce « Midsommar ».
Il est envoûtant.
On sait où il nous emmène.
On sait qu’on va voir des choses qui ne vont pas forcément nous plaire. Nous déstabiliser.
Et pourtant on veut les voir quand-même.
On accepte.
On se résigne.
C’est que, un peu comme dans « Hérédité », sombrer peut offrir un gain, alors que résister ne pourra qu’entrainer notre perte.
Je trouve d’ailleurs assez saisissant comment Ari Aster arrive toujours à faire en sorte que la posture de son spectateur face au film corrobore à ce point à la posture des protagonistes face à la destinée qui leur est offerte.
Ainsi il y a-t-il toujours quelque-chose de séduisant dans les pièges à âmes d’Ari Aster.
Ici, dans « Midsommar », l’enfer a des allures de paradis.
Il fait tout le temps jour et beau.
De belles nymphes s’offrent aux voyageurs qui s’égarent.
Les moments de douleur deviennent des chorégraphies partagées et se transforment presque en champs rituels.


« Midsommar » au fond, c’est ça.
Une échappatoire aux frustrations et aux douleurs qui nous avalent.
La plupart s’y perdent. Et quelques-uns trouvent dans cette chute libre une forme d’équilibre nouveau.
D’ailleurs – tout un symbole – rayonne au sein de cette plongée cathartique l’être au final le plus malmené psychologiquement. Florence Pugh y devient bien plus qu’une Reine de mai. Elle se révèle au contraire comme une actrice puissante que je ne me priverai pas de suivre avec intérêt dans les années à venir.


Voilà donc pour ma part.
Le temps est venu pour moi de vraiment me taire.
Vous laisser voir « Midsommar ».
Que vous puissiez goûter aussi à ses doux enfers.

lhomme-grenouille
8

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le 19 janv. 2020

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